Qui était (vraiment) le Marquis de Sade ?

« Le souvenir de Sade a été défiguré par des légendes imbéciles. » La phrase provient d’une figure éminente du féminisme. Elle émane de Simone de Beauvoir, dans son essai Faut-il brûler Sade ? Et pourtant, nombreux sont ceux à avoir dit du sulfureux Marquis de Sade qu’il était fou, érotomane, malade. Le diable en personne. « Or, les informations manquent aux gens, ce qui est propice à sa criminalisation. On le prend toujours par le biais du personnage sombre », éclaire Stéphanie Genand, spécialiste de l’œuvre du Marquis, autrice de la biographie Sade et professeure de littérature française du 18e siècle à l’université de Bourgogne.

Un article d’Aurélien Germain.

« On ne résume Sade qu’à ses textes pornographiques. Mais c’est comme sur les réseaux sociaux aujourd’hui : la nuance n’intéresse personne. Le grand public aime les légendes noires. » Effectivement, on connaît Sade, né le 2 juin 1740, pour ses textes suintant le sexe, la pornographie, la violence, la cruauté. On le connaît pour avoir passé un tiers de sa vie en prison – vingt-sept ans derrière les barreaux – accusé de sodomie et violences envers des prostituées.

Infréquentable, sadique, mais fascinant ? « C’est parce qu’on ne le connaît pas. Pour mieux cerner Sade, il faut lire ses lettres, accessibles à tous désormais, précise Stéphanie Genand qui les a étudiées. La façon dont il s’adresse à ses proches est une idée fidèle de ce qu’il était, puisque ces correspondances n’étaient, de fait, pas censées être publiées. » Elle précise que l’homme est un personnage de passion, « qui n’est pas dans la modération ». D’autant qu’il écrit ces lettres en prison sans comprendre pourquoi il est là.

Un monstre avec les femmes qui violentait les prostituées ? Pour Stéphanie Genand, il convient déjà de jeter un œil à ses échanges avec sa femme : « On y voit toute la tendresse qu’il avait pour elle. Beaucoup de complicité. Elle était d’ailleurs la première à lire ses livres. »

Marquis de Sade - Histoire de bouquiner

« On ne résume Sade qu’à ses textes pornographiques. Le grand public aime les légendes noires. »

Les femmes, justement. « L’œuvre de Sade est complexe. Les femmes sont victimes de sévices et de discours misogynes. Il y a aussi l’éloge de la supériorité féminine ; la parole est donnée aux héroïnes : Juliette, Justine… », souligne Stéphanie Genand. Surtout, à l’ère de la religion toute puissante, Sade l’anticlérical dépeint des femmes qui assument une sexualité déconnectée de la procréation. Quel crime pour l’époque ! « En fait, il offrait une clé d’émancipation et un regard moderne. Il est aussi l’un des premiers à dénoncer le tabou de la virginité. Avec Sade, la sexualité féminine peut être libre. »

Or, on ne réduit souvent son œuvre qu’à quatre textes pornographiques. Ce penseur de la liberté, comme s’attachait à croire le biographe Jean-Jacques Pauvert, a pourtant écrit d’autres choses. « Il faut lire ses lettres, donc, mais aussi son œuvre dans sa diversité. Il y a le versant clandestin qu’il écrivait pour l’argent donc, mais aussi un versant “ homme de lettres ”, ainsi qu’il se décrivait : un corpus avec du théâtre, ou des nouvelles. C’est plus en nuance, plus complexe », pense Stéphanie Genand.

Sade réhabilité ? En juillet 2021, le ministère de la Culture avait annoncé l’acquisition par l’État du manuscrit des 120 Journées de Sodome à la BNF, classé Trésor national. Un livre pourtant « impur », d’après Sade lui-même, un catalogue de perversions. Le Mal absolu. « C’est horrible oui, mais Sade disait qu’il fallait accepter l’idée qu’il y existe une part de violence chez l’homme. » Même dans ses désirs et ses pulsions. L’homme est un loup selon lui. Difficile à accepter, pour l’être humain lui-même…

Lire Sade, « c’est de la lucidité et ne pas fuir la complexité », selon la biographe. Pas si facile, certes. « Il voulait être connu comme un homme de lettres, qu’on se souvienne de lui comme un Rousseau, un écrivain de génie, mais en marge de la société. Un grand écrivain n’a pas d’amis. »

Sources : L’article d’Aurélien Germain sur le site La Nouvelle République / La Liseuse – Fragonard

Pour en savoir plus à propos de M. de Sade, fondateur du forum et de ce blog.