Un Loser mythique

Sade est ce que l’on appelle aujourd’hui un « loser ». Il a vraiment la poisse. Il se fait emprisonner alors que tout autre, muni de sa fortune, passerait sans encombre. La prise de la Bastille aurait pu faire de lui un héros ; il la rate de 10 jours et y perd tous ses manuscrits. Il se fait soupçonner de délits qui lui sont étrangers. Ses biens sont mis sous séquestre par erreur. Il se fait plumer par des escrocs.

Un article de contreculture.org

Quoi de mieux que prendre le contre-pied de ce que dit l’ensemble des biographes de Sade pour ressortir du maelström d’articles traitant de la vie de celui-ci. En définitive, rien de bien nouveau dans cette biographie, juste un sentiment de légèreté conférant au texte une approche décalée sur le personnage du Marquis. On s’attacherait presque à notre héros en se disant qu’il n’a vraiment pas eu de chance !… Mais laissons finir l’histoire racontée par ce contre-biographe breton.

[…] avec le « divin » marquis, nous sommes bien loin de la liberté sexuelle. C’est un jules à l’esprit étroit, qui bat sa femme qu’il soupçonne d’infidélité. Contrairement à dom Juan, il ne fait pas de conquêtes féminines ; il fait des achats. C’est un riche, qui s’offre des plaisirs tarifés. Il n’a manifestement aucun prestige. Sa femme prend l’initiative de le répudier. Les mendiantes et les prostituées auxquelles il s’adresse n’hésitent pas à le dénoncer et à le traîner en justice. Emprisonné pendant des années, il n’arrive pas à se faire juger.

A partir du XXème siècle, Sade devient un mythe républicain, emblématique de l’audace et de la transgression. Adorer Sade et choquer les passants, c’est donner des preuves de liberté. Cela équivaut, pour la petite bourgeoisie voltairienne, à « chanter les paillardes romances qui font peur aux nonnettes », comme disait Jacques Brel.

Marquis de Sade - Un Looser Mythique

L’article continu ensuite sur la ligne de vie du Marquis de Sade dont voici un extrait :

L’homme qui avait la poisse

1740 :
Pour son baptême, on se trompe de prénom. Plutôt que Louis-Alphonse-Donatien, on l’appelle Donatien-Alphonse-François. Cette embrouille lui créera des problèmes administratifs toute sa vie.

1755 :
Entré dans l’armée, il est nommé sous-lieutenant, mais sans solde.

1763 :
Il revient de la guerre avec le grade de capitaine. Son père l’oblige à se marier. Il a le choix entre Laure de Lauris, dont il est follement amoureux, et Renée-Pélagie de Montreuil. Son père fait pour lui le choix de cette dernière, qui est plus fortunée. Il signe les registres de son mariage, le 17 mai, de son prénom Louis-Alphonse-Donatien.

29 octobre : Il est enfermé au château de Vincennes pour avoir été raflé dans un bordel. Par ordonnance du roi, il est libéré le 13 novembre, mais confiné dans un château appartenant à la famille de sa femme.

1767 :
Octobre : Le marquis de Sade essaie sans succès de s’attacher (pour 25 louis d’or par mois) Mlle Rivière, de l’Opéra. Il est tellement maladroit qu’il y aura un rapport de police sur cette affaire.

1768 :
Avril : Sade kidnappe une mendiante, Rose Keller, qui parvient néanmoins à s’échapper et qui porte plainte auprès des juges locaux. Madame de Sade parvient à faire retirer la plainte au prix de 2400 livres et 7 louis d’or.

15-23 avril : Malchance : les juges locaux sont dessaisis et c’est la cour criminelle de La Tournelle qui reprend l’affaire. Sade est transféré à la forteresse de Pierre-Encise, près de Lyon.

16 novembre : Le marquis est libéré, mais assigné à résidence dans son manoir de La Coste, en Provence.

1770 :
Sade est réincorporé dans l’armée comme capitaine du régiment de Bourgogne. Mais son supérieur le met aux arrêts et interdit à quiconque d’obéir aux ordres du nouveau capitaine. Après cet incident pénible, il sera rétabli dans ses fonctions.

1772 :
Juin : En voyage à Marseille, il demande à son valet, Latour, de lui trouver des prostituées. Le marquis offre à au moins deux d’entre elles un aphrodisiaque. Puis plus tard, à une autre prostituée, Marguerite Coste, il offre aussi le même produit. Celle-ci se plaint de maux de ventre et porte plainte pour empoisonnement. Le procureur lance un mandat d’arrêt contre Sade et Latour, qui s’enfuient à Chambéry (la Savoie ne fait alors pas partie de la France).

Décembre : Pourquoi et comment le dossier passe t’il la frontière ? En tout cas, Sade est arrêté au nom du roi de Sardaigne, duc de Savoie, et envoyé en prison. La famille du marquis le déshérite et lui retire ses droits familiaux.

1773 :
Janvier : le directeur de la prison écrit à plusieurs reprises au gouverneur de Savoie, décrivant Sade comme un personnage faux et impulsif. Il décline toute responsabilité sur la sécurité du prisonnier.
30 avril : Sade et Latour parviennent à s’évader. Sade revient au manoir de La Coste.

1774 :
Janvier : La police investit le manoir. Sade réussit à s’enfuir, mais la police brûle ses manuscrits.

1775 :
Janvier : La marquise de Sade, alors que son mari vit en reclus clandestin au manoir de La Coste, embauche de jeunes servantes. Mais certains des parents portent plainte. La marquise renvoie promptement les jeunes filles de La Coste et les enferme dans des monastères. Elle demande, pour établir la vérité, qu’elles soient examinées par un médecin. Mais cette mesure ne sert à rien, personne ne s’en préoccupe, et la rumeur s’étend. Sade est considéré comme le responsable de tous les crimes sexuels de la région, et les enfants qui naissent à proximité du manoir sont soupçonnés être de lui. Pendant que sa femme se démène pour faire taire la rumeur, Sade s’enfuie en Italie.

1776 :
Janvier : A Naples, nouvelle malchance. Sade se fait prendre pour M. Tessier, un escroc français. Pour se disculper, il révèle sa vraie identité. Un peu perdu, il écrit à sa femme pour lui demander ce qu’il doit faire.

1777 :
Janvier : Le père d’une servante du manoir, Catherine Trillet, au courant des rumeurs qui courent sur le manoir de La Coste, essaie de tuer Sade.

13 février : Le marquis de Sade est arrêté à Paris et emprisonné au château de Vincennes.

1781 :
Octobre : Les visites de la marquise à son mari emprisonné sont suspendues, pour éviter les agressions dont elle est victime. Sade a une réputation de libertin mais c’est d’abord un jaloux, mortifié par l’infidélité réelle ou supposée de sa femme.

1784 :
Février : Sade est transféré à la Bastille.

1789 :
4 juillet : Le marquis est transféré à l’asile de fous de Charenton.

14 juillet : Prise de la Bastille ; tous les prisonniers de la prison sont libérés et portés en triomphe. Comble de la poisse : La cellule de Sade, où il avait laissé les biens, les manuscrits, les livres accumulés depuis le début de sa détention, est dévastée. Tout part en fumée.

1790 :
2 avril : Sade est libéré, sans un sou. Le lendemain, il cherche à voir sa femme mais celle-ci refuse de le recevoir et lui annonce qu’elle demande la séparation.

Juin : Le tribunal du Châtelet prononce la séparation du couple, et condamne Sade à restituer à sa femme les 160 842 livres qu’il a reçu lors du mariage.

Juillet : Sade se met au goût du jour et devient sans-culotte. Il s’inscrit comme « citoyen actif » à la section de Vendôme (qui deviendra section des Piques) de la Commune de Paris. Il se met en ménage avec une actrice mère d’un jeune enfant, Marie-Constance Quesnet, délaissée par son mari.

1791 :
Sade vivote en faisant jouer sans grand succès ses pièces de théâtre. Justine ou les malheurs de la vertu est publié anonymement.

1792 :
Août : Sade renie publiquement son fils, qui vient de déserter. Précision sur la sincérité patriotique du père : La République vient de décréter que les parents sont responsables des crimes de leurs enfants. Le Château de La Coste est attaqué, pillé et brûlé par la population.

Décembre : Erreur ou malice ? Poisse en tout cas. Le nom de Louis-Alphonse-Donatien Sade apparaît sur une liste d’émigrés ennemis de la République du département des Bouches-du-Rhône. Ses propriétés dans le département sont mises sous séquestre.

1793 :
Septembre : Le pamphlet de Sade Discours aux mânes de Marat et de Le Peletier est approuvé par la Section des Piques et envoyé à l’Assemblée Nationale. Mais la gloire révolutionnaire est courte. En décembre, Sade est arrêté et incarcéré.

1794 :
Mars : Il se traîne dans la boue. Il assure qu’il a été submergé de joie quand le roi a été décapité. Il nie qu’il ait jamais été un aristocrate, et prétend qu’il est d’une lignée de paysans.

Octobre : Robespierre est mort. Sade est libéré et autorisé à vivre à Paris.

1796 :
Octobre : Sade vend ce qui reste du manoir de La Coste. Mais pas de chance, les acheteurs ne sont pas honnêtes, et il ne sera jamais intégralement payé.

1798 :
Septembre : Sade est expulsé de son logement à St Ouen, qu’il ne peut plus payer. Il est accueilli par des paysans dans la Beauce.

Novembre : Sade a placé l’argent qu’il a récupéré de la vente de La Coste dans une opération immobilière pourrie à Malmaison et Grandvilliers. Devenu insolvable, il est expulsé de la ferme et erre sur les routes.

1799 :
Après plusieurs mois de misère, il apprend que son nom a été retiré de la liste des émigrés du Vaucluse ; il peut donc retrouver ses propriétés. Il s’apercevra que, depuis 30 ans, la gestion de ses biens par son chargé d’affaires, Gaufridy, est catastrophique. Trop tard.

1800 :
Juin : Sade est accusé (sans doute à tort) d’être l’auteur de Zoloé, un pamphlet qui attaque des personnes influentes comme mesdames Tallien ou Bonaparte. Ayant attiré malgré lui les orages, il est alors désigné à la vindicte publique comme l’auteur de Justine.

1801 :
Mars : Sade et son imprimeur Nicolas Massé sont arrêtés, Sade ayant eu la malchance de se trouver dans l’imprimerie quand la perquisition a commencé. Pas de chance non plus avec l’imprimeur : celui-ci charge Sade de toutes les infamies.

Avril : Plutôt qu’un procès qui ferait scandale, le préfet décide de placer Sade en internement administratif, sans jugement, à la prison de Sainte Pélagie. Mesure exceptionnelle, en dehors de tout droit. Pauvre homme.

1803 :
Sa famille accepte de payer pour lui une pension annuelle de 3000 francs. En échange, Sade renonce à tous ses droits de propriété.

1807 :
Sade termine Les journées de Florbelle, son œuvre de maturité en 10 volumes. L’ouvrage sera saisi et brûlé par la police.

1814 :
2 décembre : Sade meurt à l’asile. Dernière contrariété posthume : Ses dernières volontés ne sont pas respectées, et il est enterré dans le cimetière de Charenton.

Sources : Contreculture.org – JPLM / Portrait du Marquis de Sade par Man Ray