Sade et la Révolution

Quelle est la place de Sade au sein de la Révolution française ? Alors que le Marquis y participe activement, il demeure fermement attaché à l’aristocratie. La Philosophie dans le boudoir, œuvre écrite en pleine période de tumulte, nous donne des éléments de réponse.

Un article de Kévin Petroni, Doctorant à l’Université de Corse

Athée, victime de l’arbitraire d’Ancien régime, Sade est libéré d’un long emprisonnement à Vincennes, puis à La Bastille, par les révolutionnaires. Il participe activement à cette Révolution au sein de la section des Piques, la branche la plus radicale, en qualité de rapporteur et d’écrivain à gages. Cependant, Sade demeure un grand aristocrate, héritier des plus grandes familles nobiliaires françaises. Il répugne à l’égalité de conditions entre les aristocrates et le peuple, et s’oppose à la suppression de la monarchie. Son nom d’adoption incarne parfaitement les ambiguïtés de l’écrivain au cours de cette période de troubles : Louis Sade. S’il choisit d’abolir la particule aristocratique de son nom, il adopte un prénom qui témoigne de son attachement à la famille royale. Cette ambivalence le rapproche des monarchiens, membres de l’aristocratie favorables à une monarchie parlementaire.

Il nous semble que La Philosophie dans le boudoir, publiée en 1795, au moment de la chute de Robespierre, éclaire au mieux les liens entre le Marquis et la Révolution. Le livre raconte l’instruction libertine d’Eugénie, par trois libertins Madame de Saint-Ange, son frère incestueux, le Chevalier de Mirvel et Dolmancé et par les jardiniers, représentant les membres du peuple. La Philosophie dans le boudoir semble alors défendre une instruction des femmes placée sous les principes du XVIIIe siècle, le droit naturel, l’expérience, l’autonomie face aux tutelles ; néanmoins, ce discours d’autonomie recèle une volonté de détruire l’ensemble des cadres qui protègent l’individu de son aliénation aux grands aristocrates. En vérité, dans ce texte, Sade use de la parodie afin d’ébranler, soit de mettre en branle, de déranger, l’ensemble des règles et des lois qui l’empêchent d’accomplir son désir, si bien que la parodie des discours d’instruction morale et politique dissimule ce que d’aucuns ont longuement nommé l’anarchie sadienne, celle d’un cruel despotisme des sexes, et que je nommerai plutôt l’aristocratie sadienne, une perversion des principes aristocratiques qui reproduit les inégalités de l’Ancien Régime.

Toute la tension sadienne se trouve dans cette appréciation : La Philosophie dans le Boudoir est une oeuvre de la révolution ; mais d’une révolution qui est censée rétablir, pour Sade, l’ordre véritable des aristocrates, des meilleurs, celui qui prendrait sa légitimité dans le discours de la nature et qui s’instituerait par la force.

Si Sade pense qu’il y a de la philosophie à trouver dans le boudoir, soit une sagesse à fonder dans une instruction au libertinage, c’est afin de mieux ramener, rabaisser, diminuer, la sagesse aux vices du boudoir ; en ce sens, Sade se joue de tous les discours, se les approprie, les étreint et les broie, afin de mieux masquer l’essence de son oeuvre : la volonté de quelques-uns d’abuser d’autrui.

Marquis de Sade - Sade et la Révolution

La Musanostra organisa le 21 décembre 2021 dernier, à l’Institut Régional d’Administration de Bastia une conférence sur les liens entre le Marquis de Sade et Les Lumières qui était annoncé de la manière suivante :

À l’heure de la Révolution française, le Marquis de Sade s’interroge : comment fonder une loi suffisamment douce pour que celle-ci ne réprime pas le naturel des hommes ? Dans La Philosophie dans le boudoir, le Marquis tente de répondre à cette question en présentant au lecteur une initiation au libertinage. Dans une série de dialogues philosophiques pervertis, Madame de Saint-Ange, avec l’aide de son frère incestueux, le Chevalier de Mirvel, et de son jardinier, institue l’éducation sexuelle de sa fille Eugénie.

Dialogues philosophiques, dans la mesure où Sade adopte le dispositif classique de la philosophie socratique, le dialogue, pour inviter à une réflexion sur les mœurs ; pervertis, dans la mesure où Sade pousse le discours sur le droit naturel à l’outrance : le droit naturel recèle un tyrannisme, un despotisme sexuel, sous l’éloge de la simplicité et de l’innocence de la nature. En d’autres termes, derrière l’incitation au plaisir se dissimule la soumission de l’individu à la force. S’il s’agit d’un texte rigoureusement optimiste, c’est un optimiste cruel dans lequel le Banquet philosophique se change en carnage. C’est pourquoi nous nous demanderons : comment Le Marquis, dans La Philosophie dans le Boudoir, subvertit-il les principes des Lumières au cœur de la Révolution ?

Sources : Retrouvez la photo et la conférence sur le site Musanostra