La philosophie dans le boudoir : bel exemplaire relié en cuir humain

En janvier 2020, Stéphan Auriou, bibliographe et libraire d’ancien, s’est vu confier, pour description bibliographique, un livre ancien comme il n’en avait jamais eu entre les mains…

Un documentaire d’Olivier Chaumelle, réalisé par Julie Beressi.

Avertissement : La lecture de cette page et l’écoute du documentaire contient des termes et des images pouvant choquer le jeune public ou les personnes sensibles.

Il s’agit d’un exemplaire de l’édition originale du célèbre livre du Marquis de Sade : La philosophie dans le boudoir, ouvrage posthume de l’auteur de Justine. Londres 1795. Avec la recommandation suivante : La mère en prescrira la lecture à sa fille.

Épisode 1 : Les tribulations d’un livre pas comme les autres

Si l’on s’en tenait là, ce serait déjà un événement dans la vie d’un libraire ou d’un bibliophile. Mais ça va beaucoup plus loin. La reliure est signée des frères Lortic, successeurs de leur illustre père, et qui ont officié ensemble de 1884 à 1891 : Volume couvert en peau humaine, est-il inscrit au premier contreplat, sur le même cuir que celui de la reluire. L’atelier Lortic était un des plus grands et audacieux relieurs français du XIXe siècle. Le texte est un monument de la littérature française. L’exemplaire est charmant, très frais, dans une condition exceptionnelle. Il est passé en vente à l’hôtel Drouot, le 06 octobre 2020, parmi 400 lots de ce qu’on appelle « curiosa » : dessins, estampes, livres, toiles, photographies érotiques. Il a fait 45 000 euros. Une paille. On pouvait s’attendre à nettement plus.

Marquis de Sade — 
La philosophie dans le boudoir : bel exemplaire relié en cuir humain

Il s’agit d’un exemplaire de l’édition originale de « La philosophie dans le boudoir » de Sade, l’édition originale apparue en 1795 et le livre, cet exemplaire-là précisément, a été relié à la fin du XIXe, vraisemblablement dans la seconde moitié des années 1880 par un atelier de reliure réputé à Paris, l’atelier Lortic qui s’est fait un nom par son originalité, par un certain nombre de ses clients parmi lesquels on compte Beaudelaire, et donc les Lortic, en 1885-1890, pour un collectionneur certainement, en tout cas qui ne nous est pas connu mais on imagine que c’est un collectionneur qui leur a demandé, relie cet exemplaire de la philosophie dans le boudoir dans une reliure dont le matériau principal est une peau humaine. (Stéphan Auriou, bibliographe et libraire d’ancien, librairie La Blanche Caroline)

C’est un petit miracle qu’il soit parvenu jusqu’à nous, et nous tentons de retracer ses tribulations de sa sortie des presses clandestines à nos jours.

Marquis de Sade — 
La philosophie dans le boudoir : bel exemplaire relié en cuir humain

Épisode 2 : De la douceur du cuir humain et autres curiosités

Le doute subsiste sur la nature de la belle et fine peau qui recouvre cette édition originale de « La Philosophie dans le boudoir ». Les analyses n’ont pas été probantes, parce que l’échantillon prélevé était insuffisant.

Il y a, au musée de l’École de Médecine de Paris, ouvert à tous, un objet sidérant : un guéridon signé d’un certain Efisio Marini, “décoré“ d’une marqueterie très spéciale, intégralement composée de restes humains : Un pied momifié se trouve au centre, quatre oreilles sont autour, semblant indiquer les points cardinaux, et le fond du décor est fait de losanges de peau teints de différentes couleurs, ainsi que de fragments de divers viscères également pétrifiés […].

Au XIXe siècle, il y a eu une véritable fascination pour les livres tendus de peau humaine. Assez récemment, on a formé un mot pour désigner le travail de reliure en cuir humain : on appelle ça la “bibliopégie anthropodermique“. Ça permet d’atténuer un peu l’effroi causé par les objets en question.

L’exemplaire est parfait. Il a été relié au XIXe siècle. Je fais abstraction, pour l’instant de la nature de la peau mais qui a quand même une importance. Vous pouvez considérer qu’un exemplaire normal vaudrait entre 60 et 70 000 (euros) s’il n’y avait pas cette plus-value impossible à évaluer ou très difficile à évaluer, qui fait l’unicité du livre, de cette reliure en peau humaine. Alors, je précise que les reliures en peau humaine ne sont en général pas belles. Celle-ci est belle ! C’est le livre le plus important relié en peau humaine. Ça faisait un an et demi que je fantasmais sur cet exemplaire… (Monsieur Jean, acquéreur de La Philosophie dans le boudoir relié en peau humaine[…])

On a surtout relié ainsi des traités sur les maladies de la peau et des ouvrages érotiques. On note également un manuscrit relatant les méfaits d’un criminel (avec la peau tatouée de ce dernier), ou encore la peau d’un traître mettant en valeur la geste du seigneur trahi.

[…]

Habituellement, quand on parle de ce genre de reliure en peau humaine, puisqu’on en connaît quand même un certain nombre, ce sont peu des grandes reliures, très décorées, très finement établies. Donc on a un volume qui est assez ramassé et qui est très élégant, au sens où le relieur a adopté un décor doré sur les plats sur le dos, très finement exécuté dans ce qu’on appelle une dentelle réalisée au petit fer donc ce qui donne un aspect vraiment précieux. (Stéphan Auriou, bibliographe et libraire d’ancien, librairie La Blanche Caroline)[…]

Sources : Le documentaire complet d’Olivier Chaumelle, réalisé par Julie Beressi, sur le site de France Culture / Photos – Stéphan Auriou