Qui était le Marquis de Sade, romancier scandaleux ?

Qui était vraiment le Marquis de Sade ? Un homme dont le nom est entré dans le langage courant et a donné le mot « sadisme », un esprit libre dont le regard sur le monde effraie et qui ne répond à aucun des codes sociaux de son époque. Personnage aussi infréquentable que séduisant, il continue de fasciner.

Un article d’Esther Buitekant

« Ma façon de penser, dites-vous, ne peut être approuvée. Et que m’importe ? Bien fou est celui qui adopte une façon de penser pour les autres ! », Lettre de novembre 1783 à Madame de Sade.

Sade, une vie de scandales

Donatien Alphonse François de Sade naît le 2 juin 1740 à Paris. Issu d’une famille de la noblesse provençale, il est un jeune noble de bonne famille dont l’avenir semble tout tracé. Il entre au lycée Louis-Le-Grand à 10 ans puis intègre à 14 ans l’École des chevau-légers de la garde du roi à Versailles. Dès son plus jeune âge, le jeune garçon intrigue et inquiète. « Je n’en ai jamais vu un comme celui là », écrit son père dans une lettre à son frère en 1753. Sade n’a alors que 13 ans. En 1763, il épouse Renée-Pélagie de Montreuil. Une union arrangée par les familles des deux époux mais qui semble, au moins pendant un temps, heureuse. Mais moins de six mois après son mariage, c’est l’affaire Jeanne Testard, du nom de cette prostituée occasionnelle qui accuse le Marquis de sévices et de blasphème. Les faits sont si graves que le Marquis de Sade est arrêté et emprisonné au donjon de Vincennes. Le premier séjour en prison d’un homme qui passera au total 27 années derrière les barreaux, espacées de périodes de liberté, et nourrit à partir dès lors une haine viscérale de la justice et des lois.

Les scandales vont ensuite se succéder et ce sont eux qui vont porter au public la connaissance du nom de Sade. En 1768, le Marquis est à nouveau condamné à six mois de détention pour pratiques blasphématoires et sévices sur une jeune femme à qui il avait proposé une place de gouvernante. Après sa libération, il se retire en Provence sur ses terres de Lacoste où il séjourne avec sa femme et leurs trois enfants. Dans les années qui suivent, Sade voyage avec sa maîtresse qui n’est autre que la sœur de sa femme, souhaite reprendre sa carrière militaire puis renonce finalement et vend sa charge de capitaine commandant, organise des représentations théâtrales. Le Marquis est impliqué dans plusieurs affaires qui vont définitivement sceller son destin : il est accusé d’avoir tenté d’empoisonner des prostitués, d’avoir pratiqué la sodomie, passible à l’époque d’une condamnation à mort. Surtout, en 1775, a lieu l’affaire des « petites filles ». Un scandale sans précédent, dont on sait peu de choses, mais qui implique cinq très jeunes filles et un garçon ayant séjourné dans la demeure du Marquis et ayant subi sévices et mutilations. Si Sade fuit un temps en Italie, la justice le rattrape et il est emprisonné pendant treize ans à Vincennes, Paris puis Charenton.

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Sade et la Révolution

Sade aurait pu jouer un rôle d’importance dans la prise de la Bastille. Incarcéré dans la prison parisienne, il observe de la fenêtre grillagée de sa cellule l’agitation Faubourg Saint-Antoine. Il hurle alors que les prisonniers de la Bastille sont en train d’être égorgés. En réalité, la forteresse est déjà presque vide à cette date. Inquiet de l’effet que pourraient produire les propos du Marquis, le directeur de la prison le fait évacuer vers Charenton dans la nuit du 3 au 4 juillet. Dix jours plus tard, la Bastille tombe et devient l’emblème de la Révolution.

Libéré le 2 avril 1790, Sade intègre en 1792 la section des Piques dont il prend la présidence en 1793. Il y retrouve Robespierre, qui le déteste profondément. Le Marquis de Sade est alors perçu comme trop subversif, trop révolutionnaire. Il remet en cause l’idée des lois, de la responsabilité collective. Il est également radicalement opposé à la peine de mort et, profondément athée, prône la déchristianisation de la France. Il échappe de peu à la guillotine après avoir été accusé de trahison et renonce par la suite à tout engagement politique. Il assure alors sa subsistance avec la production d’ouvrages clandestins pornographiques. En 1801, la police perquisitionne chez son imprimeur et le Marquis est arbitrairement condamné. C’est à l’asile de Charenton que le Marquis de Sade meurt après 13 ans d’internement.

Écrivain subversif et génie clandestin

Sade n’est pas, loin s’en faut, qu’un libertin débauché, il est aussi un écrivain de génie. Une carrière tardive et essentiellement clandestine. S’il écrit « Les cent Vingt Journées de Sodome » en 1785 alors qu’il est emprisonné à la Bastille, son premier ouvrage publié est « Justine ou les malheurs de la vertu » en 1791 alors que Sade a déjà plus de 50 ans. Une œuvre sur laquelle Sade reviendra à de nombreuses reprises au cours de sa vie et qui connaîtra trois versions successives mais aussi une suite intitulé « Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice ». Scènes de viols, de mutilation, perpétrés par des médecins, des hommes d’église, des professeurs, l’histoire subversive et obscène de Justine scandalise autant qu’elle effraie. A propos des « Cent Vingt Journées de Sodome », recension de toutes les perversions humaines, œuvre inachevée rédigée sur des rouleaux de papier de 12 mètres de long. Un texte dont Georges Bataille dira en 1957 dans « La Littérature et le mal » : « Personne à moins de rester sourd n’achève les Cent Vingt Journées que malade : le plus malade est bien celui que cette lecture énerve sensuellement. Ces doigts tranchés, ces yeux, ces ongles arrachés, ces supplices où l’horreur morale aiguise la douleur, cette mère que la ruse et la terreur amènent à l’assassinat de son fils, ces cris, ce sang versé dans la puanteur, tout à la fin concourt à la nausée ». Il faudra attendre 1945 avec Jean-Jacques Pauvert pour que les œuvres de Sade soient officiellement publiées sous une jaquette d’éditeur.

Sources : L’article d’Esther Buitekant sur le site du journal Géo / Photo – Pierre-Eugène Vibert