Chaque baiser est un tremblement de terre

Le 25 février 1772, Sade, futur auteur de « l’Histoire de Juliette, ou les propriétés du vice », a 32 ans. Vivant sans compter, il mange ses revenus ainsi que la dot de sa femme. Amoureux de la Provence, il ambitionne de réparer son château de Lacoste pour donner libre cours à sa passion de la comédie en construisant un théâtre d’une capacité de 120 places. Visionnaire de génie, le Marquis imagine même un programme de représentations jusqu’à fin octobre de la même année pour ce qui sera le premier « festival de théâtre ».

Pour arriver à ses fins, Sade embauche ce jour-là des comédiens. Il envoie des invitations à la noblesse des environs, la priant de venir aux fêtes et aux pièces de théâtre dont il est le régisseur et le maître de scène. De ce « festival », nous avons le programme des vingt-cinq soirées théâtrales qui étaient prévues du 3 mai au 22 octobre 1772, entre Lacoste et Mazan et qui seront interrompues le 27 juin par l’affaire de Marseille : il s’agissait de jouer des pièces de Voltaire, Destouches, Chamfort, Gresset, Regnard et Sedaine.

Sade, en parfait organisateur, remporte un franc succès. L’ensemble des invités le trouve « fort séduisant, d’une élégance extrême, une jolie voix, des talents, beaucoup de philosophie dans l’esprit »… seul l’argent fait défaut : il s’endette pour payer ses « folles dépenses » dira Madame de Montreuil, sa belle-mère ; « si sa passion dure, elle l’aura bientôt ruinée. » écrit l’Abbé de Sade, son oncle !

Marquis de Sade - Chaque baiser est un tremblement de terre

Petit saut en arrière, nous sommes cette fois le 6 avril 1580. À Londres, il est 06h00 du soir… et la terre tremble. Les secousses sont si fortes que les pierres se détachent des édifices, les voûtes des églises s’effondrent, les cloches sonnent le tocsin toutes seules et de grosses vagues emportent bêtes et gens en noyant les rivages. Cette année-là, William a 16 ans, son père, John, fils de paysan et notable de la ville de Stratford, est un gantier et un marchand d’articles de maroquinerie, négociant de peaux et de laine prospère, tirant également profit de la spéculation foncière.

Les années passent, William a grandi, il est dorénavant marié depuis ses dix-huit ans à Anne Hathaway — miaou ^^ — qui le lui rend bien si l’on en croit son arbre généalogique qui s’étoffe avec quatorze enfants. La réussite de son père fait que sa famille possède maintenant des armoiries : « Non sanz droict » (Pas sans droit) peut-on lire sur leur devise.

Mais William peut aussi compter sur sa bonne étoile, il a lui aussi réussi. Il est devenu un célèbre dramaturge, cela de son vivant ; il écrit et l’on joue ses pièces à guichets fermés. Son œuvre préférée, du moins celle ayant marqué le plus ses admirateurs, l’histoire d’une femme aimant éperdument un homme qui lui est interdit. Dans cette œuvre, écrite aux alentours de 1591, il se rappelle les horreurs ayant secoué le sud de l’Angleterre onze ans plus tôt… horreurs arrivées en pleine semaine pascale et qui furent interprétées comme étant un avertissement divin.

Cette histoire, vous la connaissez, il s’agit de celle de « Roméo et Juliette » de William Shakespeare. Histoire, qui n’est pas sans rappeler une autre histoire — du moins seulement par le nom — une histoire racontée et écrite par Sade dans un roman-fleuve de la philosophie débauchée : « l’Histoire de Juliette, ou les propriétés du vice », paru en 1801… soit prés de 200 ans après l’écriture de l’œuvre phare de Shakespeare et quelques 30 ans après le festival avorté de Lacoste organisé par le Marquis.

Mais déjà l’espace se replie, nous sommes revenus le 25 février 1772, Sade recrute des comédiens pour son festival de théâtre… le jour où l’on fête les Roméo. Pour l’un comme pour l’autre, le monde pense à leurs Juliette !

Sources : « Balli di sfessania » – Jacques Callot