La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée

Il y a un peu plus de 200 ans, à l’époque de la Révolution, les églises devenaient « propriétés de l’état français ». Quelques années plus tard, n’arrivant pas à mettre en place sa politique, l’Assemblée nationale décida de fermer les lieux de culte, symbole d’un temps révolu… ceci à cause des membres du clergé qui régentaient pratiquement tout.

Or les gens — pour la plupart profondément religieux — avaient pris l’habitude de se rendre à l’église, le jour de Noël, voir la crèche installée là pour célébrer la venue du « Petit Jésus » sur notre planète. Ne pouvant plus rentrer dans leurs églises, car les édifices religieux étaient fermés, ils ont alors l’idée de faire leur crèche chez eux… plus besoin de sortir dans le froid rejoindre la Maison de Dieu, Dieu viendra directement à eux pour les réchauffer de sa présence divine ; évidemment, ils le feront en se cachant, car la pratique ostentatoire de la fabrication de crèche était interdite.

C’est en Provence que cela s’est fait en premier. Les adeptes de ce rite interdit réalisaient alors de tout petits personnages qu’ils pouvaient cacher facilement. Il fallait faire très attention, l’époque était dangereuse et se faire prendre avec une crèche chez soi était motif à la décollation. Ces personnages étaient la représentation de petits saints, le plus souvent à l’effigie de Joseph, Marie et de l’enfant Jésus… d’où l’appellation « santons », qui veut dire « petit saint » en provençal.

Ces Santons étaient confectionnés avec ce qu’on avait sous la main, principalement de la mie de pain, mais également avec du papier mâché ou alors avec du plâtre. La légende veut qu’un certain Jean-Louis Lagnel, en promenade dans la campagne d’Aubagne, salisse ses chaussures avec de l’argile rouge au point d’être obligé de les nettoyer à la main. En malaxant la terre, il constata qu’elle se travaillait bien et se dit qu’il y a moyen de créer quelque chose de sympathique avec. Noël approchant, il eut alors l’idée de faire une petite crèche qu’il vendit aussitôt. Il en fit ensuite d’autres qui partirent tout aussi vite que la première… ainsi était né le métier de santonnier.

À cette époque, le santon s’appelle le « détaché ». Le premier est construit en mie de pain, puis en terre séchée. Les essais de fabrication sont nombreux, mais le résultat est toujours le même : ils se cassent facilement. Par conséquent, on les remplace souvent. Mais comme la production n’est pas coûteuse, les gens ne rechignent pas à racheter les pièces brisées.

Jean-Louis Lagnel fabrique le premier santon en argile rouge, aux alentours de 1798. La figurine est alors fabriquée dans un moule en plâtre, en deux parties (le détaché d’une part, les bras et accessoires, d’autre part). Tous les costumes, faits à la main, comme les vestes, chapeaux, nœuds de chemise, pantalons en tissus provençaux, sont posés directement sur le corps. De plusieurs tailles, les santons mesurent entre 11 et 17 centimètres, et sont soutenus à l’intérieur par des tiges de fer. Jean-Louis Lagnel s’inspire des marchands ambulants, femmes au marché, des paysans, etc., qu’il croise dans la rue, pour créer ses personnages. Ainsi, année après année, berger, boulanger, pêcheur, poissonnière, viennent agrandir la crèche provençale.

Au 20e siècle le métier évolue, pour la première fois, à Aubagne, Thérèse Neveu cuit les santons dans un four à poteries. Ce procédé solidifie remarquablement les figurines. Elles sont plus résistantes et peuvent être transportées. Cette cuisson se généralise après la Deuxième Guerre mondiale. Les santonniers s’associent alors avec les potiers, puis finissent par acheter leurs propres fours.

Ces artistes débordent d’imagination, multiplient les détails, postures qui seront autant de marques de fabrique. On y aperçoit, immanquablement : Marie et Joseph, l’enfant-Jésus, l’ange (messager de la naissance de Jésus), les rois mages, les bergers, Marius (personnage d’Alphonse Daudet essentiel des santons provençaux), les animaux (l’âne et le bœuf sont incontournables dans la crèche), le vieux et la vieille (Grasset et Grasseto, représentés assis sur un banc), le tambourinaire (il renforce l’idée que la naissance est une fête), le pêcheur, le porteur d’eau (la cruche souligne la rareté de l’eau en Provence, dans les siècles précédents), le vannier (offrande d’un grand panier d’osier servant de berceau au nouveau-né), le curé, le ravi de la crèche (toujours représenté les bras levés au ciel)…

Outre de petits santons peints, on peut dénicher dans les ateliers des santonniers des santons habillés en costume traditionnel, chacun représentant un métier. On peut également y acquérir les accessoires qui confectionnent le décor traditionnel de la crèche : étable, puits, pont, étoile, papier rocher, papier ciel, mousse fraîche pour imiter l’herbe, etc., tout un monde pour éblouir les collectionneurs !

Typiques de la Provence, les santons deviennent l’occasion rêvée de faire de merveilleux cadeaux de Noël, perpétuant ainsi l’histoire et les traditions de la région. Plus qu’une simple passion, ces petits personnages sont devenus, au fil du temps, une véritable fierté pour tous les Provençaux.

Marquis de Sade - Le Valet de Sade

Mais la crèche n’est pas seulement une représentation miniature de l’étable dans laquelle, selon la tradition de Noël, Jésus fut placé à sa naissance. C’est aussi un établissement qui s’occupe de garder de jeunes enfants quand leurs parents sont au travail.

À Saint-Maurice, à l’Est de Paris, existe un établissement de ce genre ; une crèche classique mais à l’histoire particulière. Située en face de l’église Saint-Maurice, rue du Maréchal Leclerc, elle se trouve en bas d’une pente un peu raide qui mène tout droit au cimetière de la ville. À proximité de ce lieu de repos vous trouverez l’hôpital Esquirol, anciennement « Maison royale de Charenton », également connu comme étant « l’hospice de Charenton ». C’est dans cette maison que le Marquis de Sade finit ses jours le 2 décembre 1814 !

Le fait est connu : obèse et malade, il mourut dans cet hospice au bout de treize années d’enfermement. Souhaitant être enterré sur une de ses terres, avec pour seul repère qu’un chêne poussant sur ses restes, il ne fut pourtant pas exhaussé : la terre ciblée ayant été vendu, son fils alla donc au plus simple… à savoir le cimetière de l’hospice.

Comme rien n’est statique, le cimetière fut remanié, désaffecté et les os des défunts en partie déplacés sur une terre située un peu plus haut… à l’endroit de l’actuel champ de repos de Saint-Maurice. Le conservateur de l’endroit indique — ou plutôt aime indiquer — que « selon la tradition », l’ancien cimetière se trouvait en bas de la pente précédement citée, en face de l’église, emplacement où se trouve désormais… la crèche !

Insouciants parents, confiant vos bambins aux mânes du sulfureux Marquis… si vous saviez où vos enfants font leurs siestes. Ne vous étonnez pas s’ils reviennent chez vous avec de drôles d’idées, le Divin Marquis — à coup sûr — est venu les conseiller durant leurs rêves !

Joyeux et divin Noël à tous !

Sources : Histoire du cimetière de Saint-Maurice / Origine des santons de Provence / « Santon Paul Fouque » – Daniel Ferrier