Les sept vies du Marquis

— Il joue du théâtre !!! Mais depuis quand ?
— Ça va faire six ans, Monseigneur.
— Et dans un asile !… Sade est vraiment fou !
— Ce n’est pas ce que l’on dit à Paris. Vous savez que l’on doit réserver sa place très tôt pour assister aux représentations du Marquis ?

Nous sommes à Paris, le 28 mai 1810. Dans son carrosse, encadré de deux laquais à livrée, Fouché rumine ce que l’on vient de lui dire. Le ministre n’aime pas le hasard : il croyait le Marquis enterré à vie et voilà qu’il ressurgit d’une manière imprévue. Bien la peine de l’avoir fait tomber dans un traquenard chez son imprimeur en 1801. Il se souvient de la lettre écrite à Armand — le second fils de Sade — le 07 mars de cette année-là !

Monsieur le ministre de la Police,
à
Monsieur Armand de Sade

Monsieur,

Je vous confirme que votre père, Donatien Aldonze François de Sade, a bien été arrêté hier et conduit à la prison des Carmes. On a saisi sur lui des pages manuscrites du roman La Nouvelle Justine suivie de l’Histoire de Juliette, sa sœur, ce qui prouve bien, malgré ses dénégations répétées, qu’il en est l’auteur.

Depuis trop de temps, Paris est envahi par ce livre dont l’horreur et l’ignominie sont un scandale public. Le nouveau gouvernement ne peut tolérer pareille publication et diffusion qui offensent gravement la morale et menacent les bonnes mœurs.

En conséquence, décision a été prise d’appréhender le sieur Sade et de le tenir reclus en un lieu de sûreté. Néanmoins, sensible à votre demande de mansuétude et ayant à cœur de préserver l’honneur de votre nom, j’ai pris la décision de faire transférer votre père dans la maison de santé de Charenton où il sera détenu jusqu’à nouvel ordre.

J’ai l’honneur, monsieur, de vous présenter mes respects.

Joseph Fouché
Ministre de la Police

Fouché baisse la fenêtre. Il a besoin d’air frais. Il entend le pas rapide de chevaux qui caracolent sur le pavé de la rue Saint-Jacques. Un groupe de citoyens, à la terrasse d’un café, le salue par une acclamation :

— Vive Joseph Fouché ! Vive le bon ministre qui veille sur notre sécurité !

Fouché répond de la main. Il est vrai qu’il tient la France d’une main de fer. Cependant, il n’aimerait pas voir ressurgir un fantôme du passé.

Marquis de Sade - Les sept vies du Marquis

Le même jour, à l’asile d’aliénés de Charenton. De loin, on dirait un couvent, endormi dans la torpeur printanière. De longs murs, de hautes grilles, des toitures grises. Pas de bruit, si ce n’est le tintement régulier de la cloche, on est presque surpris de ne pas entrevoir la bure fugitive d’un moine ou d’entendre la plainte d’un Miserere apportée par le vent.

De près, on se croirait dans un jardin de campagne, des fleurs courent le long des façades, des pieds de vigne tombent en treille sur la porte d’entrée et des jardiniers en chemise immaculée ratissent les allées ou taillent des buis opulents.

Pourtant, certains détails surprennent. Les fenêtres, dès le premier étage, ont des barreaux et les jardiniers ont tous à la ceinture une corde et un collier. Pour autant, on accueille les visiteurs avec bienveillance

Un carrosse vient d’entrer qui dépose une dame, en robe blanche et le front ceint d’un bandeau surmonté de plumes.

Un homme, en redingote stricte, favoris sur les joues, et canne à la main, s’avance et salue.

— Suivez- moi, Madame, nous avons installé le théâtre dans le parc. Il fait si beau. Et n’oubliez pas, après la représentation, nous organisons un dîner entre amis. La fine fleur de Paris y sera.

Dans le réfectoire, Sade frappe de sa canne le sol pavé. Devant lui, un Arlequin se gratte furieusement les parties génitales tandis qu’une soubrette contemple d’un œil vide une araignée qui remonte le long du mur passé à la chaux. Un des gardiens s’avance vers Donatien, ôte sa casquette et interroge :

— Vous êtes sûr que vous allez y arriver, Monsieur le Marquis, parce que, là, vos acteurs, ils ont l’air un peu…

Sade reste posé.

— Justement, je préfère que leur manie s’exprime pendant les répétitions que sur scène.

On frappe à la porte. Rentre le directeur de l’établissement.

— Ah, Monsieur de Sade ! Alors tout est prêt ?
— Les acteurs vont arriver. Je viens juste de leur faire répéter leur texte, une dernière fois.
— Marquis, je vous dois des félicitations. Transformer ces fous en de véritables comédiens, voilà qui tient de l’exploit.
— En tout cas, monsieur le directeur, je vous remercie de m’avoir laissé tenter cette expérience. Faire jouer la comédie à des déments, quelle folie, n’est-ce pas ? Mais, voyez-vous, je préfère voir ces pauvres malheureux sur les planches qu’attachés à leur lit ou battus par les gardiens.
— Allons, c’est aujourd’hui jour de fête. Et je tiens à ce que vous soyez joyeux. Nous allons tous deux monter sur scène pour souhaiter la bienvenue à nos invités.

Sade sourit. Lui qui a tant rêvé de théâtre, pour la première fois de sa vie, il va triompher sur les planches.

Un article de Jacques Ravenne, extrait de son livre « Les sept vies du Marquis ».

Détails sur le produit :
Nom : Les sept vies du Marquis.
Auteur : Jacques Ravenne.
Date de publication : 09 janvier 2014.
ISBN-13: 978-2265087064

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Sources : Photos – Anonyme