Puisqu’il est l’heure et que nous avons l’âge…

Fils de maçon, le Marquis de Sade est ce que l’on appelle un « louveteau ». Son père fut initié le 12 mai 1730, par la Loge « The Horn » à Londres au côté de Montesquieu. Le statut de « louveteau » fait que la personne est pris en charge contre toutes les atteintes de la vie : les Frères de l’Atelier se devant de l’assister quoiqu’il arrive. Est-ce à la lumière de cette possible adoption que l’on doit concevoir un Sade échappant à la guillotine en 1794 ? À ce jour, les autres hypothèses ayant été émises sur ce point ne semblent pas revêtues d’une validité plus grande.

Un article de Léo Campion.

On ignore donc où et quand le Marquis de Sade a été initié… qui plus est, son appartenance à la franc-maçonnerie est très controversée. Mais pour certains, elle ne fait cependant aucun doute ; même si un soupçon de mauvaise foi, inhérent à la subjectivité, laisse insinuer que des mains pudibondes aient pu égarer, détruire, ou falsifier pieusement des documents.

Mais soyons objectifs… toutes, absolument toutes les délégations de la Section des Piques — sauf la dernière en novembre 1793 (pendant la Terreur) — étaient composées exclusivement de francs-maçons. Si donc Sade n’avait pas été maçon, il en eût été pendant tout ce temps le seul membre profane. C’est pour le moins insolite !

L’analyse littéraire de l’oeuvre de Sade révèle une connaissance intime des rites maçonniques qui va plus loin que la simple imprégnation due à un environnement maçonnique ; cet environnement est flagrant : sorti de Charenton démuni de tout, sans argent et déjà sans culotte, Sade fut accueilli par le Frère de Milly, de la Loge « Saint Louis de la Martinique des Frères Réunis », 18ème, Officier du Grand Orient, qui lui donna six louis, le nourrit et l’hébergea.

Compte tenu de la réputation licencieuse du Marquis, pornographe, partouzard, bisexuel, sodomite, friand de fessées érotiques, d’aucuns se demanderont non pas s’il fallait le rejeter de la franc-maçonnerie mais plutôt comment il avait pu y être admis.

Les vieux rituels précisent qu’un profane est reçu en maçonnerie parce qu’il est « probe et libre » ou parce qu’il est « libre et de bonnes moeurs ». Sade, s’il était probe et libre, était-il de bonnes moeurs ? Encore faut-il savoir ce que l’on entend par bonnes moeurs.

Soutien ou substrat à la morale, les moeurs sont des habitudes, naturelles ou acquises, considérées par rapport au bien ou au mal dans la conduite de la vie. Elles varient selon les époques, les lieux, les usages particuliers d’une ethnie, d’une caste, d’un milieu. Aussi les conceptions qu’on peut avoir du bien et du mal peuvent-elles être très différentes et même opposées, selon l’entourage et selon l’individu. En amour, entre adultes consentants, il n’y a pas lieu de préconiser et encore moins de ne pas admettre. Si vous n’aimez pas ça, ce qui est rigoureusement votre droit, n’en dégoûtez pas les autres. Et surtout, ne les blâmez pas !

Pour Serge Behar, Grand Maître du Grand Orient de France en 1976, les « bonnes mœurs » se définissaient ainsi : « Être de bonnes moeurs signifie essentiellement la sincérité envers soi-même et la fidélité aux engagements librement consentis. Être de bonnes moeurs c’est aussi avoir refusé d’adhérer à toutes formes de totalitarisme, mieux, d’avoir lutté contre elles ». C’est dire si Sade était de bonnes moeurs !

Marquis de Sade - Puisqu'il est l'heure et que nous avons l'âge...

Jérôme de Lalande, ancien Vénérable Maître de la Loge « Les Neuf Sœurs » et membre de l’Académie des Sciences, rédigea en 1800 un « Supplément » au « Dictionnaire des Athées anciens et modernes » de Sylvain Mareschal (membre de la Loge « La Fidélité »). Dans le « Second Supplément » de 1805, Lalande écrivit qu’il voudrait « pouvoir citer M. de Sade, il a bien assez d’esprit, de raisonnement, d’érudition ; mais ses infâmes romans de « Justine » et de « Juliette » le font rejeter d’une secte où l’on ne parle que de vertu ».

La secte à laquelle faisait allusion le sectateur, personnalité notoirement représentative de la majorité favorable à l’Empereur au sein du Grand Orient, ne peut être que la Franc-Maçonnerie ; les athées ne constituant pas une secte.

En quelques lignes, Lalande montrait combien il était habile homme ; donnant en passant un honnête et élégant coup de chapeau à l’esprit, au raisonnement et à l’érudition du Marquis, il restait suffisamment discret vis-à-vis du lecteur profane quant à la secte, et suffisamment indiscret vis-à-vis de Napoléon quant à un rejet qui ne pouvait que lui plaire. Clair et sibyllin à la fois, en donnant motif à le rejeter de la Franc-Maçonnerie, Lalande soulignait que Sade était toujours maçon en 1805, car on ne peut être exclu d’une société à laquelle on n’appartient plus.

L’emploi du présent dans la phrase avec « le font rejeter » est significatif ; Lalande insinuant que Sade ne serait plus reçu en loge parmi ses frères… lapalissade puisque le Marquis était captif depuis quatre ans et qu’il n’y avait pas de tenues maçonniques à l’Hospice de Charenton. À moins que Lalande n’ait subtilement émis une hypothèse… ou lancé une suggestion ; Faisant de toute façon, adroitement, sa cour à l’empereur. Car c’est bien de cela qu’il s’agissait. « Justine » et « Juliette » n’étaient ici que prétexte à régler les comptes mesquins de Napoléon, que Lalande considérait comme protecteur de l’Ordre Maçonnique, mais qui personnifiait — et avec quel absolutisme — l’État.

Or les Constitutions d’Anderson de 1723, qui sont la Charte de la Franc-Maçonnerie moderne, spécifiaient déjà que si un « Frère devenait Rebelle envers l’État, il ne devrait pas être soutenu dans sa Rébellion, quelle que soit la pitié que puisse inspirer son infortune ; et s’il n’est convaincu d’aucun autre Crime, bien que la loyale Confrérie ait le devoir et l’obligation de désavouer sa Rébellion, pour ne provoquer aucune Inquiétude ni Suspicion politique de la part du Gouvernement au pouvoir, il ne peut pas être chassé de la Loge et ses relations avec elle demeurent indissolubles. ».

Marquis de Sade - Puisqu'il est l'heure et que nous avons l'âge...

Le Marquis de Sade mourut le 2 décembre 1814. Ne tenant aucun compte de ses dispositions testamentaires, on l’enterra religieusement dans le cimetière de la maison de Charenton, à la lisière du Bois de Vincennes. Quelques années plus tard, un bouleversement opéré dans le cimetière entraîna, parmi d’autres exhumations, celle de la dépouille du Marquis. Son cadavre fut donc extrait de la fosse où il reposait. Le docteur Ramon, qui avait fermé les yeux de D. A. F. de Sade, assistait à l’opération. Il se fit remettre le crâne du Divin Marquis, aucun doute n’étant permis quant à son authenticité.

« Je me dispose à préparer ce crâne, a écrit le docteur Ramon, quand je reçus la visite d’un ami, Spurzheim, célèbre phrénologiste, disciple de Gall. Je dus céder à ses instances et lui laisser emporter le crâne, qu’il me promit de me rendre avec plusieurs exemplaires du moule qu’il en ferait tirer. Mon ami Spurzheim a été faire des cours en Angleterre et en Allemagne ; il est mort au bout de peu de temps, et jamais je n’ai revu le crâne ».

Qu’est devenu le crâne de Donatien Alphonse François de Sade ? Nul ne le saura. Il paraît pourtant symbolique et piquant que le hasard ait fait échouer de nos jours le crâne de Sade sur le plateau d’un président d’Atelier Maçonnique.

Il voisinerait ainsi,
traditionnellement,
avec le premier maillet,
en Loge bleue, du Vénérable Maître,
en Souverain Chapitre, du très Sage Athirsata,
en Conseil Philosophique, du Trois Fois Puissant Grand Maître,
voire en Consistoire, avec le glaive de l’Illustre Commandeur,
Présent,
Post mortem,
Rituellement.

Un article extrait de la conférence de Léo Campion, 33ème, Illustre Commandeur du Consistoire d’Île-de-France et Sérénissime Grand-Maître de la Confrérie des Chevaliers du Taste-Fesses dont le Marquis de Sade est membre d’honneur.

Sources : L’article complet sur le site de Jean-Charles Cabanel / Photo « Cabinet de Réflexion » – Anonyme / Photo « Architecte de l’Univers » – Anonyme