Porno Politique

Quelques jours après « l’Affaire Griveaux », je me suis interrogé sur le partage de l’article suivant. Celui-ci est en effet tiré du site à l’origine de la chute de l’ex-candidat en campagne pour les municipales à venir de la ville de Paris. Le site en question, fermé depuis vendredi dernier, ne proposait pas grand chose de croustillant, seulement quelques articles salés, pouvant être comptés sur les doigts d’une main, dont un sur notre Divin Marquis placé entre celui d’un curé et celui d’une actrice porno italienne.

Je me suis donc interrogé sur comment vous proposer cet article : en entier, car celui-ci est long ; ou tronqué, pour plus de clarté. Après plusieurs essais, je me suis aperçu qu’il était logique de vous le fournir en entier… celui-ci n’étant plus accessible aujourd’hui sur internet.

Prenez le temps de lire, n’ayez pas peur de la longueur de la page, le texte est intéressant et mérite d’être lu.

Je vous laisse à votre lecture…

Marquis de Sade — Porno Politique

L’argent et le pouvoir. Voilà bien le culte de la société contemporaine. Ajoutons la violence et cela nous donne le troisième côté d’un triangle équilatéral aux antipodes de celui qui trône au-dessus de la déclaration universelle des droits de l’homme. En quelques lignes, nous avons une idée des deux camps qui s’affrontent aujourd’hui.

Un article de Yann Merlin

L’homme du XXIe siècle, l’individu, est égocentrique et narcissique, c’est le petit dictateur pour qui l’autre, celui qui ne lui ressemble pas, n’existe pas. Il est le sujet idéal du régime Néolibéral qui ne laisse pas de place au partage. L’homme néolibéral qui est avant tout un individu, n’est plus une personne, la personne renvoie au personnalisme, les penseurs du fédéralisme européen, les pères fondateurs de l’Europe, qui faisaient passer l’économie après les droits humains. C’est Fromm dans le « Coeur de l’homme » qui avait vu que le combat des sociétés occidentales se situerait entre humanisme et narcissisme.

Tandis que nous déplorons une multitude d’affaires de mœurs au caractère sexuel qui suscitent tant d’émotions (#metoo, Pensylvanie, DRH du Ministère de la culture, Tariq Ramadan, Gabriel Matzneff), nous déplorons tout autant le silence qui s’exerce au sujet du malheur des prisonniers des camps libyens, enfants-femmes-hommes qui subissent tous viols, tortures et exécutions. (« La mort naturelle n’existe pas en Libye pour l’homme noir » mais c’est le noir qui le dit. Mamadou Cissé, réfugié, 2016)

Les émotions doivent-elles nous empêcher de voir que toutes ces histoires nous parlent de la condition des dominés, que ce qui se réalise, ici et ailleurs, est loin de la fumeuse mystique du « nouveau » millenium, le fantasme d’un paradis terrestre peuplé d’une humanité « surnaturelle », débarrassée de toutes ses pulsions ? Ces émotions ne doivent pas nous faire oublier les victimes des guerres militaires, les victimes des guerres sociales, les victimes des conséquences des choix des politiques environnementales, les victimes des choix des politiques de luttes contre les migrations, en résumé, toutes les violations des droits humains qui se multiplient aujourd’hui.

En fait, nous sommes enfermés dans une vision ethno-centrée voire raciste, qui produit de l’indignation à deux vitesses. Les médias, chefs d’orchestre et producteurs du flux émotionnel, nous disent, non seulement quand, pourquoi, sur quoi, sur qui mais aussi combien de temps, nous devons nous indigner. L’indignation ne sert à rien. Les pouvoirs instrumentalisent l’information qui sert leurs intérêts. La liberté de la presse, la diversité d’opinion, notre devise, tout cela est ringardisé par ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’alternatives : les ultras du néolibéralisme.

Il y a aussi qu’au nom d’une lutte contre l’oubli et d’un devoir de mémoire, nos médias dominants reviennent chaque année sur les traumas collectifs (11 septembre, Bataclan, Charlie Hebdo…) et nous empêchent de faire le deuil. Ils empêchent de faire le deuil. Ils maintiennent la blessure ouverte et la plaie ne peut pas cicatriser. Mais là encore, que l’émotion légitime ne nous empêche pas de raisonner : ces commémorations cachent une injonction. Nous sommes priés d’oublier nos souffrances « égoïstes » pour nous joindre à la prière collective. Dans le contexte des tensions sociales actuelles qui ont commencées il y a déjà plusieurs années, cette mécanique peut s’entendre comme une manipulation qui ressemble à un chantage.

D’ailleurs, nous pouvons faire un constat au sujet de ces commémorations : l’autre sujet c’est la Mémoire de la Menace. Cette menace est peut-être vraie mais n’oublions pas que c’est elle qui justifie la surveillance globale des individus, c’est au nom de la sécurité que nos libertés sont de plus en plus limitées. D’ailleurs, les médias sont complices de cette idéologie et une bonne partie des agents du système médiatique est acquise à cette doctrine politique, nous pouvons feindre de croire que la presse est libre, une partie l’est au moins dans son esprit.

Quoiqu’il en soit, la répétition en boucle d’informations ne cesse de nous pénétrer et tous les jours nous subissons le même viol, auquel, nous ne pouvons nous soustraire. D’un côté les images, de l’autre le silence par la neutralisation de la silence par la neutralisation de la parole et manque la vérité, disait Jacques Ellul. (« La parole humiliée »)

Le Néolibéralisme est la religion du 21ème siècle. Nous voyons sur quels cultes il est fondé et par quel moyen technique il nous trompe sur la nature de ce qu’il est. Certains pouvoirs conditionnent nos libertés, embrouillent le penser par soi-même, ils traquent la vérité. Précisément, c’est ce/se penser par soi-même qui sera bientôt visé.

« Si l’homme en restait au stade du discours, il serait inévitablement conduit a une réflexion critique. l’image exclu la critique…L’image est indispensable pour m’éviter de voir la réalité quotidienne où je me situe… La réalité ne ferait qu’augmenter mon angoisse et mes incertitudes. Elle me ferait prendre conscience davantage de mon vide, de mon impuissance, de l’insignifiance de ma situation. L’image artificielle qui se fait prendre pour la vérité, efface, gomme la réalité de ma vie, de la société, pour me faire entrer dans une réalité imagée bien plus passionnante. La parole seule est révolutionnaire… et c’est son rapport à la vérité qui l’implique. Il faut un immense combat de la classe dominante pour empêcher ce creusement de taupe. Il faut une volonté de châtrer la parole, de la domestiquer de la cerner de la rendre exsangue et de faire du langage un exsangue et de faire du langage un instrument neutre! »

Jacques Ellul, La parole humiliée, La petite vermillon, p. 202 et p. 276.

Marquis de Sade — Porno Politique

Si « je » était un clown, il serait bien triste de voir un monde, le nôtre, avec ses nouveaux cultes. Le sujet ici n’est pas tant le sexe que la domination. Que faire d’une telle religion et surtout quelle place choisir, entre celle du bourreau, celle du complice et celle de la victime ? Le clown ne choisirait aucune d’entre-elles.

En vérité, ces affaires de mœurs, contrairement à ce qui est dit, sont loin de nous parler de la réalité des rapports hommes-femmes. Elles nous parlent de la réalité du pouvoir, de la condition et du sort des dominés. Une quantité importante de victimes sont privées de paroles, le pouvoir médiatique loin de la donner, la rend invisible ou pas, il a le pouvoir de choisir.

La révélation de ces affaires, qu’est-ce que c’est ? Il faut se poser la question car il est utopique de croire que ces comportements pourront s’arrêter puisque c’est dans la nature humaine. Cependant, cela nous renseigne au sujet de la morale de notre nouvelle religion : le fantasme d’une société peuplée d’êtres purs à l’ombre d’un absolu sécuritaire qui protège peut s’entendre derrière tout ça. Un nouveau mythe se développe : Nous serions plus libres de nous faire entendre grâce aux réseaux sociaux mais beaucoup de victimes restent dans l’ombre. C’est le cas pour les hommes qui ont aussi leurs prédateurs, c’est aussi le cas des enfants qui subissent ces violences. Combien existe-t-il de victimes qui s’ignorent ?

Loin d’être un média, les réseaux sociaux sont une caisse de résonance des médias dominants et des autres ; mais surtout, c’est un territoire à l’intérieur duquel règne une police de la pensée exercée par les usagers eux-mêmes. Bien sûr qu’on peut dire et écrire n’importe quoi dans cet espace mais justement, c’est n’importe quoi ! Il faut se féliciter de la libération de la parole que ce soit au sujet des mœurs ou sur des sujets politiques mais celle-ci, comme le disait Ellul, sera toujours combattue par le pouvoir car la parole est révolutionnaire, elle soulève des questions qui posent problèmes. Le problème des violences sexuelles n’est qu’une partie du problème de la violence. La parole est en fait loin d’être libérée et nous pouvons remarquer que la psychanalyse, qui libère la parole, fait partie des cibles du pouvoir aujourd’hui. (Politique / intellectuel : écrivains, réalisateur / artiste / scientifique)

Si « je » était un homme libre, il dirait la même chose que le clown car comme l’écrivait Sade, c’est sur courage et liberté que nous devons fonder une nouvelle religion. Le « c’était mieux avant » est une illusion. Partout où nous avons favorisé le retour de la religion ou son développement, notamment dans les pays arabes et africains où nous sommes intervenus pour stopper les opposants laïcs des dictatures, nous voyons ce que cela nous a donné. Si l’homme ne peut pas croire en la politique, il croit en Dieu. Allez dans les pays musulmans et vous verrez des hommes vivre dans la misère et la répression, vous verrez des sociétés corrompues où tout est possible quand vous avez le pouvoir. Le Caire est le lieu de débauche de tous ces « religieux » qui viennent s’amuser avec leurs pétrodollars. Sans le courage nous ne pouvons pas nous affranchir d’une condition sans libertés et sans libre arbitre, comment trouver le courage qui nous demande d’engager notre corps et notre esprit pour nous libérer de l’injonction de nous taire et changer la trajectoire de l’histoire humaine ?

C’est l’engagement du corps et de l’esprit qui produit la Résistance. S’indigner est loin de suffire. « Osez savoir », nous disait Kant pour résumer la doctrine des Lumières. Osons penser par nous-même, signifie osons voir le réel de notre condition et dans cette vision des deux camps qui s’affrontent, ne pensons pas victoire ou défaite car ce n’est pas possible. Ces deux camps sont éternels et chacun cherchera toujours à s’emparer du pouvoir ; l’un pour l’équilibre par la raison et l’autre pour l’équilibre par la domination et le chaos.

Le cri de Sade, ressemble à celui de Kant mais chez Sade c’est différent : « Osez ça-voir », nous dit-il. Mais qui a lu Sade, du moins, quand il raisonne ? L’oeuvre de Sade est singulière car la vie et l’esprit de l’auteur le sont aussi (voir « Vérité sur les deux procès criminels du Marquis de Sade », Paul Lacroix. 1834, sa correspondance avec sa femme) mais dans son texte politique, il y a tout qui nous dit qu’il fut un homme et un penseur important. Non seulement pour son temps mais encore aujourd’hui dans notre époque où presque tous les rapports sont encore des rapports de domination.

Pour le voir, nous devons nous replonger dans son texte : « Français, encore un effort pour devenir Républicain ». Certainement, ce texte est celui que Sade voulait absolument que tout le monde lise.

Marquis de Sade — Porno Politique

« Je viens offrir de grandes idées. On les écoutera, elle seront réfléchies ; si elle ne plaisent pas, au moins en restera-t-il quelques unes ; j’aurai contribué en quelque chose au progrès des Lumières, et j’en serais content. »

DAF de Sade, La philosophie dans le boudoir, Folio classique,1995, p. 187

Dans ce texte politique et philosophique, Sade pose la question : être Républicain, qu’est-ce que c’est ? Il en profite pour nous proposer de contribuer au nouveau contrat social. Mais peut-être que pour beaucoup, il voit trop loin. L’idée centrale, c’est que la République doit créer un homme libre, le Républicain, qui doit pérenniser les valeurs de la Révolution. Justement, il sait que le peuple peut se retourner. C’est précisément cette réalité qu’il veut changer. Il fantasme en quelques sortes sur la fin de l’histoire telle que les néolibéraux l’ont pensée et proclamée : « après nous il n’y aura plus de changement politique, c’est donc la fin de l’histoire; there is no alternative ».

DAF de Sade pense qu’en libérant les mœurs, que si le citoyen et la citoyenne jouit, cela apportera une stabilité éternelle en matière de politique intérieure et aussi que toute l’Europe nous enviera et voudra nous copier. Il nous propose de voir que nous sommes des êtres avec des pulsions de vie et de mort. Qu’il nous appartient de choisir vers quel point la société doit tendre. Mais cela ne fait pas de lui un assassin, il dit que le meurtre est dans la nature humaine, que la société pourrait résoudre le problème du meurtre en légalisant le droit de vengeance. Non pas que la vengeance, comme le meurtre, soit dans la nature de tous mais qu’elle dans la nature de tous mais qu’elle peut-être dans la nature et que chacun sera libre de choisir de se venger ou pas. Que la justice ne peut pas juger un acte comme celui-là car il est inhumain de tout faire pour contrarier la nature humaine et que c’est paradoxal de condamner un meurtrier à la peine de mort. Mais surtout le fait que seuls ceux qui détiennent le pouvoir s’autorisent à donner libre court à leurs penchants grâce à leur impunité n’est pas acceptable. Au moins, la loi doit être la même pour tous. L’injustice doit disparaître. Pour cela, il propose une morale qui se fonde sur la nature humaine et souhaite une justice moins répressive.

La fascination du pouvoir vient de ce pouvoir spécial que celui qui domine détient : celui qui a le pouvoir de tout faire sans rendre de comptes est une sorte de Dieu vivant. Les dominés au contraire des dominants sont exposés à la répression de toutes leurs pulsions. Et ils sont punis par ces dominants qui fondent le droit sur une morale qui s’appuie sur la religion, nous dit Sade ; alors que pour lui c’est l’inverse qu’il nous faut : une religion qui s’appuie sur la morale. Ce que veut Sade c’est une religion sans Dieu, une religion égalitaire : La République.

Ensuite Sade parle du pouvoir qui s’exerce au sein des familles, en fait il dénonce l’image du père tout puissant qui fait la loi et décide du destin de ses enfants. Il voit bien que le père est à l’image de Dieu. Comme dans la religion, ce père qui est censé faire le bien, en réalité, est impuissant à le faire car il plonge ses sujets dans le malheur de la domination et de la culpabilité. Pour Sade, la famille, avec cette place du père est incompatible avec les valeurs de la République et de la Révolution, c’est le terreau idéal du retour d’une idéologie qui donne au père le pouvoir absolu. Le père de famille trahira pour préserver son pouvoir et sera un agent de la restauration que Sade redoute tant.

Il s’adresse aussi aux mères sur lesquelles il compte pour qu’elles éduquent leurs filles avec sa philosophie qui dit que les femmes doivent avoir les mêmes droits que les hommes. Pour Sade le mariage ne peut pas impliquer que la femme devienne une propriété. Les relations hommes-femmes doivent se faire sous le signe de l’égalité. Le fameux « Lien de l’hymen » qui impose que la femme se réserve pour un futur époux sur lequel le père a quelque chose à dire, doit être supprimé.

Pour cela, Sade imagine qu’il faut confier les naissances à la République, il faut séparer les enfants des parents. Il veut réaliser la grande famille Républicaine dans laquelle dit-il, chacun recevra l’affection dont il a besoin. Ces enfants en retour lui seront éternellement fidèles et reconnaissants. Sade parle de contrôler les naissances comme c’était dans l’Antiquité avant que l’Eglise Chrétienne l’interdise (voir Johannes M Roskamp, « Essay Christian perpectives on abortion legislation in past and present », 2005)

« Qu’on ne me taxe point d’être un novateur dangereux, qu’on ne dise pas qu’il y a du risque à émousser, comme le feront peut-être ces écrits, le remords dans l’âme des malfaiteurs, qu’il y a le plus grand mal à augmenter par la douceur de ma morale le penchant que ces mêmes malfaiteurs ont aux crimes ; j’atteste ici formellement n’avoir aucune de ces vues perverses »

DAF de SADE, La philosophie dans le boudoir, Folio Classique, 1995, p. 210

Marquis de Sade — Porno Politique

Toutefois, Sade ne tombe-t-il pas parfois dans le paradoxe ? Il est contre la peine de mort mais il souhaite que la société autorise la vengeance. Ruse-t-il quand il évoque la métempsychose pour relativiser le meurtre ? La métempsychose étant l’idée que l’âme prisonnière d’un corps se réincarne indéfiniment. Il rappelle aussi que la délivrance par la révolution s’est réalisée par le meurtre. Faut-il nous condamner de nous être libérés par le meurtre ? Semble-t-il demander. Il révèle aussi des ambiguïtés qui contredisent une certaine logique.

Sade est pour la liberté sexuelle mais si le corps appartient au sujet, tout le monde peut en réclamer l’usufruit. Aussi n’importe qui sans distinction de sexe peut être appelé, convoqué pour devenir un objet sexuel. C’est l’excès inverse de ce qu’il avait critiqué mais c’est tout de même un excès. Sur le vol, il pense qu’il est nécessaire à la réduction des inégalités, que la « victime » est responsable de ce qu’il possède, il n’a donc aucune raison de possède, il n’a donc aucune raison de se plaindre de cette dépossession. Sur le viol, il dit qu’il est difficile de le prouver. Sur l’inceste, il prétend que c’est dans la nature humaine et rappelle qu’il est pratiqué dans différentes sociétés (la relation de Sade avec sa belle-sœur était perçue comme incestueuse). D’ailleurs sa conception de la sexualité c’est un peu une communauté de frères et de sœurs qui pratiquent tous ensemble la sexualité.

Il aborde la sexualité des enfants qui doivent eux-mêmes s’en emparer selon leurs désirs. Pour eux aussi il réclame plus de libertés. Il veut une société où la personne est libre de déterminer, par elle-même, sa majorité sexuelle. Il veut convertir les prêtres en soldat pour qu’ils servent la République, il n’appelle pas au génocide. Pour lui, il ne s’agit pas d’exterminer les gens de l’Eglise mais de les convertir comme eux-mêmes ont converti des juifs de force. Il faut détruire les symboles de la religion. Il pense que la république doit, ou tolérer toutes les religions à égalité, ou toutes les interdire, lui étant favorable à la deuxième option. Il pense que la culture doit favoriser le développement des idées révolutionnaires et pense que la République doit favoriser ce développement de l’idéologie par son financement. En réalisant la révolution jusqu’au bout, Sade pense que la France inspirera ses voisins européens, il a une vision politique européenne et fédéraliste. Il pense que la stabilité politique doit être réalisée à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. En fait, Sade se demande quelles lois faut-il pour une société composée d’hommes libres. Si les dominants étaient touchés par la justice, le droit ne serait-il pas plus juste ?

A la lecture de Sade qui recèle un nombre d’idées impressionnant, nous pouvons nous faire une autre idée de l’homme qu’il fut et, au-delà des rumeurs, nous faire notre propre idée du personnage. Tous les grands thèmes du contrat social sont évoqués : La justice, la liberté d’expression et d’opinion, la sexualité, l’égalité homme-femme, le patriarcat, la mort, la peine de mort, la religion, la propriété, l’esclavage, l’éducation des enfants, l’avortement…

DAF de Sade dresse un portrait psychologique de l’homme et de la femme. L’amour n’est pas interdit mais l’amour ne peut pas déboucher sur la fidélité en sexualité. L’homme est prié de s’assumer comme sujet physiquement dominant et doit employer sa force pour imposer à la femme sa libération. Cette force est l’association de la force physique et psychologique. Pour Sade, il semblerait donc normal que celle-ci soit « éduquée » par la force si nécessaire, elle doit céder et être initiée à tous les plaisirs qu’elle refoule, c’est à dire céder à ce qu’elle désire secrètement. Sade nous dit que l’homme et la femme dans ce domaine de la sexualité doivent contourner leur surmoi investi par la culture chrétienne. Une fois délivrés de leurs vertus artificielles, liées à la morale de l’Eglise, une fois débarrassés de leur culpabilité qui les maintient dans le refoulement de leurs instincts, l’homme et la femme doivent jouir le plus possible et découvrir leur vraie nature. La République a tout à y gagner. L’homme en même temps, doit renoncer aux « avantages » que lui donnaient l’Ancien régime sur les femmes et doit ainsi renoncer à considérer celles-ci comme des objets dont il aurait la propriété. Il doit au contraire accompagner sa femme sur le chemin de la libération
sexuelle.

Pour Sade, un homme ne peut pas satisfaire une femme. En fait, ce qu’il affirme, c’est que la femme est celle qui jouit, pas seulement pour deux, mais qu’elle peut jouir aussi pour le bien de la société. Dans le contrat social de Sade, l’homme et la femme doivent renoncer à leur place de père et mère. La femme mais aussi l’homme, se retrouvent libérés du dilemme qui les torture, en confiant les naissances à la République ou en les supprimant. Dans la République de Sade, l’homme et la femme doivent se contenter d’être des humains qui assument leur nature. Il veut par là en finir avec l’hypocrisie des uns, la culpabilité et la frustration des autres, il veut en finir avec la famille en tant qu’institution religieuse. Il souhaite aussi que la libération sexuelle devienne universelle et non plus, le privilège de quelques-uns. La psychanalyse n’a-t-elle pas démontré que la libido était le moteur de nos réalisations créatrices ? Que la violence était le résultat de notre incapacité à gérer nos frustrations sexuelles ?

Sade sans le vouloir, et sans le savoir évidement, avec sa théorie des pulsions de vie et de mort, de l’existence d’une sexualité infantile, de la perception de l’existence d’un surmoi investi par la morale qui s’appuie sur la religion, s’aventure sur le terrain de la psychanalyse en développant une espèce de concept d’innocence, un peu celui dont Benjamin dit qu’il manque à la religion.

Enfin, il faut voir aussi qu’au 18ème siècle, la prison n’était pas une peine. Or Sade a passé de très nombreuses années en prison, pour cette époque, son cas est donc une exception. De nombreux philosophes impliqués dans le combat émancipateur furent réprimés avant, pendant et après la Révolution. Un nombre important d’entre eux connurent l’exil, la prison ou la mort. Des livres furent brûlés en place publique. Nous pouvons voir qu’ils sont les premiers martyrs de la Résistance dans le sens où ils n’ont pas hésité à engager leurs corps et leurs esprits dans la lutte des idées qui ont fondé nos droits humains. L’esprit de la Résistance vient de là.

D’ailleurs, Sade était dérangé par le sort qui avait été réservé au Chevalier de la Barre mais l’était aussi par la peine de mort en général. « Ce que Sade s’efforce de mettre en scène, est moins ce que nous ne voulons pas voir qu’une manière de voir dont nous voulons tout ignorer » Annie Le Brun, Soudain un bloc d’abîme, Sade, Folio Essai, p. 158

Sources : L’article de Yann Merlin n’est plus accessible sur internet car le site, à l’origine de la chute de Benjamin Griveaux, n’est plus disponible. / Photos : Anonyme