Mille nuits de rêve

« On promet amour et voyages
Mille nuits de rêve mille sortilèges »

Paul Éluard (1895-1952), Balances

Aujourd’hui 7 novembre, la Maison Pierre Bergé & Associés dispersera la première partie de la Bibliothèque de Geneviève et Jean-Paul Kahn après le décès de ce dernier en 2018. Intitulée « Mille nuits de rêve », selon le poème Balances de Paul Éluard, cette première vacation couvre deux siècles d’art et de littérature, de Sade à Burroughs, la part belle revenant aux œuvres dadaïstes et surréalistes. L’ensemble de la vente, composé de 291 lots, est estimé autour de 3 millions d’euros.

Un article de Drouot

Célèbre mais tenue secrète, la bibliothèque Kahn a été constituée une soixantaine d’années durant par un amateur ardent et raffiné. Lecteur, amateur de peinture et de dessins autant que de livres et de manuscrits, Jean-Paul Kahn s’est ingénié à dénicher non pas des titres mais des exemplaires, chacun marqué par les empreintes d’une histoire singulière – envoi autographe, annotations, ajouts, provenance, etc. – privilégiant les objets conservés dans leur condition originelle.

« Sa vision fut muséale, des précurseurs du XIXe siècle jusqu’aux héritiers des années 60, au travers d’un choix toujours réfléchi, celui d’un passionné qui n’aimait rien tant que la passion pour elle-même. Secret et discret, il façonna sa collection pour que, conforme à ses aspirations, elle remplisse son univers. Il l’a construite autour de l’axe central DADA-Surréalisme. En s’inspirant de L’Anthologie de l’humour noir, il a débuté avec les auteurs que Breton remit au goût du jour comme Xavier Forneret, Petrus Borel ou Germain Nouveau. Son goût pour les romans noirs, initié par une collection familiale venant de sa tante Suzanne et de son oncle Maxime, rejoignit ceux de Paul Éluard ou de Georges Hugnet. Enfin, Jean-Paul Kahn s’est ouvert aux mouvements surréalistes étrangers et aux avant-gardes européennes : portugaises, tchèques, roumaines, italiennes, espagnoles et bien entendu belges, trop souvent négligées, mais aussi anglaises, dont le mouvement se coordonna autour du Belge E.L.T. Mesens qui créa un véritable pôle surréaliste international à Londres. Il ne faut pas oublier non plus son intérêt pour le surréalisme en Amérique du Sud. Il fut, en effet, l’un des premiers en France à s’intéresser et à promouvoir l’oeuvre de Remedios Varo, notamment lorsqu’il fit partie de la commission d’acquisition du Centre Pompidou. » Philippe Luiggi, expert de la vente

Marquis de Sade - Mille nuits de rêve

Lot 1 : Donatien Alphonse François, Marquis de SADE. « L’Auteur des Crimes de l’amour, à Villeterque, folliculaire ». Paris, An IX (1800). Plaquette in-12, brochée, couverture muette de papier bleu.

Édition originale dont on ne connaît qu’une poignée d’exemplaires. Elle manque à pratiquement toutes les grandes collections ainsi qu’à la Bibliothèque nationale de France. Le 30 vendémiaire an IX (22 octobre 1800), un journaliste du nom de Villeterque fit paraître dans le « Journal des Arts, des Sciences et de la Littérature » une critique féroce des « Crimes de l’amour » : « Livre détestable d’un homme soupçonné d’en avoir fait un plus horrible encore » – allusion transparente à Justine. Sade entreprit donc de corriger le folliculaire : « Villeterque dénonce sans prouver ; il fait planer sur ma tête un affreux soupçon, sans l’éclaircir, sans le constater ; Villeterque est donc un calomniateur […]. J’ai dit et affirme que je n’avais point fait de livres immoraux, que je n’en ferai jamais ; je le répète encore ici, non pas au folliculaire Villeterque, j’aurais l’air d’être jaloux de son opinion, mais au public, dont je respecte le jugement autant que je méprise celui de Villeterque. » Puis Sade justifie, des points de vue littéraire et philosophique, les « Crimes de l’amour » au « docte et profond Vile-stercus » – jeu de mots usant l’équivalent latin de fiente ou excrément. Brillante et rageuse, cette réponse au critique n’est autre que « la canne d’un grand seigneur s’abattant à coups redoublés sur le dos d’un laquais insolent », selon le mot de Gilbert Lely. Écrivain et journaliste, Alexandre-Louis de Villeterque (1759-1811) ne doit plus sa renommée qu’à la correction infligée par Sade. Auteur de pièces de théâtre et traducteur, son œuvre la plus fameuse alors avait paru sous le titre de « Veillées philosophiques ». Celles-ci déchaînent l’ironie du bouillant Marquis dans une note finale : « On ne connaît, dieu merci, de ce gribouilleur que des Veillées qu’il appelle philosophiques, quoiqu’elles ne soient que soporifiques, ramassis dégoûtant, monotone, ennuyeux, où le pédagogue, toujours sur des échasses, voudrait bien qu’aussi bêtes que lui, nous consentissions à prendre son bavardage pour de l’élégance, son style ampoulé pour de l’esprit, et ses plagiats pour de l’imagination […] » (page 19). L’exemplaire est plaisant en dépit de quelques piqûres en tête. La couverture de papier bleu est moderne. (Lely, Vie du marquis de Sade, pp. 578-579.)

Lot 263 : « La Vanille et la Manille ». Lettre inédite à madame de Sade écrite au donjon de Vincennes en 1783. Cinq eaux-fortes originales de Jacques Hérold. (Paris), Collection Drosera I, 1950. In-folio, toile bordeaux à la Bradel, pièce de titre de maroquin bleu nuit, non rogné, couverture et dos conservés (reliure de l’ époque).

Édition originale. Tirage limité à 119 exemplaires. Elle est illustrée de 5 eaux-fortes originales de Jacques Hérold. Lettre fameuse du Marquis de Sade adressée à sa femme depuis le donjon de Vincennes où il était incarcéré : elle a été transcrite et éditée par son premier biographe, le poète Gilbert Lely. Le document autographe se trouve dans la collection de Pierre Leroy (Fondation Martin Bodmer, Sade, un athée en amour, 2014, nº 92).

Vente aux enchères publique – Drouot – Salle 5
Jeudi 7 novembre – 14h00

Exposition publique – Drouot – Salle 5
Jeudi 7 novembre – 11h00 / 12h00

Sources : L’article sur le site drouot.com / Photo – Pierre Bergé et Associés