Buñuel après l’âge d’or

C’est une tendance très actuelle des réalisateurs de sortir le cinéma d’animation du seul jeune public. Buñuel après l’âge d’or, premier film de l’Espagnol Salvador Simó, sorti ce mercredi 19 juin, reconstitue le tournage de « Terre sans pain », documentaire de Luis Buñuel qui date de 1933. Un choix esthétique surréaliste ? Pas tant que ça.

Un article de Jacky Bornet pour francetvinfo.

Un nouveau cinéma d’animation

Projeté à Paris en 1930, « L’âge d’or » de Luis Buñuel, sur un scénario coécrit avec Salvador Dali, librement adapté du Marquis de Sade, fait scandale. Le réalisateur est désespéré et sans le sou. Un ami artiste gagne à la loterie espagnole et lui offre de financer son prochain projet, un documentaire sur la région la plus pauvre d’Espagne, les Hurdes. Une petite équipe est constituée pour un tournage épique dont le but est d’alerter sur les conditions de vie insalubre d’une population laissée à l’abandon.

Marquis de Sade — Buñuel après l'âge d’or

Le cinéma d’animation connaît un renouveau dans le choix de ses sujets depuis « Valse avec Bachir » (2008) de Ari Folman. Pour recouvrer la mémoire, le réalisateur israélien interviewait d’anciens soldats ayant participé avec lui à l’invasion du Liban qui a conduit aux massacres de Sabra et Chatila en 1982. Récemment, « Chris the Swiss » de la Suissesse Anja Kofmel reconstituait son enquête sur la mort mystérieuse de son cousin parti en Yougoslavie en pleine guerre civile. « Buñuel après l’âge d’or » prend pour sujet le processus de création qui a permis à Buñuel de reprendre confiance en lui, après un passage à vide. La démonstration n’est pas toujours tendre avec le réalisateur espagnol, tout en démontrant sa force de créativité et sa foi en son talent. Buñuel en quête de lui-même.

Réaliste et onirique

Le choix esthétique fort de réaliser en animation un sujet tel que celui de « Buñuel après l’âge d’or » peut interroger, s’agissant pratiquement du making-of d’un film. Par analogie avec le mouvement artistique auquel est identifié Buñuel à ses débuts, la démarche est quasi-surréaliste. A l’origine du projet, Salvador Simó réalise un film dont la cohérence repose en partie sur son hétérogénéité, précepte surréaliste s’il en est. Réaliste dans la reconstitution du milieu artistique des années 30 et du tournage de « Terre sans pain », dont il raconte la réalisation, il insère des scènes oniriques (les cauchemars de Buñuel), ainsi que de courts extraits du documentaire de 1933.

Le résultat esthétique est des plus convaincants et donne un éclairage sur Buñuel dénué de toute complaisance. Le film pointe l’égotisme du cinéaste, dans son obsession pour Dali, comme rival dans la reconnaissance de son œuvre. Cet ego se retrouve dans la manipulation de ses collaborateurs et des villageois démunis qu’il filme. La nature documentaire de son film est interrogée par les procédés qu’il utilise pour parvenir à ses fins, comme provoquer la mort de deux chèvres et d’un âne (piqué par des centaines d’abeilles) pour traduire une tragédie sociale.

Ces travers racontent un artiste en formation. « Terre sans pain » sera interdit en Espagne jusqu’en 1976. Buñuel savait qu’il provoquait en 1933, la provocation participant de la démarche surréaliste. Son discours social n’en est pas moins pertinent, universel et d’actualité. Adapté du roman graphique « Buñuel en al laberinto de las tortugas (Bunuel dans le labyrinthe des tortues) », ce titre original reflète plus le sujet que le titre français « Buñuel après l’âge d’or ». Car dans un labyrinthe, on cherche sa voie. Ce qui résume parfaitement le sujet du film, celui d’un cinéaste qui se cherche et va se trouver.

La fiche

Genre : Animation.
Réalisateur : Salvador Simó.
Acteurs : voix de Jorge Usón, Fernando Ramos, Luis Enrique de Tomás, Cyril Corral.
Pays : Espagne.
Durée : 1h20.
Sortie : 19 juin 2019.
Distributeur : Eurozoom.

Synopsis : Suite au scandale de la projection de L’Âge d’or à Paris en 1930, Luis Buñuel se retrouve totalement déprimé et désargenté. Un ticket gagnant de loterie, acheté par son ami le sculpteur Ramon Acin, va changer le cours des choses et permettre à Buñuel de réaliser son documentaire « Terre sans pain » et de retrouver foi en son incroyable talent.

Sources : Les photos et l’article de Jacky Bornet sur le site de francetvinfo

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