Pétition de la Section des Piques, aux représentants du peuples français

En 1792, « Louis Sade, homme de lettres » est nommé secrétaire, puis en juillet 1793, président de sa section. Le 9 octobre 1793, il prononce le « Discours aux mânes de Marat et de Le Peletier » lors de la cérémonie organisée en hommage aux deux « martyrs de la liberté ». Entraîné par le succès de ses harangues et de ses pétitions, emporté par sa ferveur athée, il prend des positions extrêmes en matière de déchristianisation, au moment où le mouvement va être désavoué par Robespierre et les sans-culottes les plus radicaux éliminés de la scène.

Le 15 novembre, délégué à la Convention, il est chargé de rédiger et d’y lire, en présence de Robespierre qui déteste l’athéisme et les mascarades antireligieuses, une pétition sur l’abandon des « illusions religieuses » au nom de six sections.

Marquis de Sade — Pétition de la Section des Piques

Législateurs,

Le règne de la philosophie vient anéantir, enfin celui de l’imposture ; enfin l’homme s’éclaire, et détruisant d’une main les frivoles jouets d’une religion absurde, il élève de l’autre un autel à la plus chère Divinité de son cœur. La raison remplace Marie dans nos temples, et l’encens qui brûlait aux genoux d’une femme adultère, ne s’allumera plus qu’aux pieds de la Déesse qui brisa nos liens.

Législateurs, ne nous aveuglons pas ; cette marche rapide est bien plutôt l’ouvrage de nos mœurs républicaines, que des progrès de notre raison ; ce n’est qu’à l’énergie de notre gouvernement, que nous en devons l’élan vigoureux. Il y avait longtemps que le Philosophe riait en secret des singeries du Catholicisme ; mais s’il osait élever sa voix, c’était dans les cachots de la Bastille où le despotisme ministériel savait bientôt le contraindre au silence. Eh! comment la Tyrannie n’eût-elle pas étayé la superstition ? Toutes deux nourries dans le même berceau, toutes deux filles du fanatisme, toutes deux servies par ces êtres inutiles, nommés Prêtres au temple, et Monarques au trône, elles devaient avoir les mêmes bases, et se protéger toutes deux.

Le seul gouvernement républicain pouvait, en brisant le sceptre, anéantir du même coup une religion sanguinaire, qui, de ses saints poignards égorgea si souvent les hommes, au nom du Dieu qu’elle n’admettait que pour servir les passions de ses satellites impurs. Sans doute, avec de nouvelles mœurs, nous devions adopter un nouveau culte, et celui d’un Juif esclave des Romains ne pouvait convenir aux enfants de Scévole.

Législateurs, la route est tracée, parcourons là d’un pas ferme, et surtout soyons conséquents, en envoyant la courtisane de Galilée, se reposer de la peine qu’elle eut de nous faire croire, pendant dix-huit siècles qu’une femme peut enfanter, sans cesser d’être vierge. Congédions aussi tous ses acolytes ; ce n’est plus auprès du temple delà Raison, que nous pouvons révérer encore des Sulpice ou des Paul, des Magdeleine ou des Catherine. Que les monuments précieux souillés par le mensonge, se consacrent aussitôt à de plus majestueux emplois : adorons les Vertus, où nous révérions des chimères, que l’emblème d’une vertu morale soit placé dans chaque église, sur le même autel où des vœux inutiles s’offraient à des fantômes ; que cet emblème expressif, en embrasant nos cœurs, nous fasse incessamment passer de l’idolâtrie à la sagesse ; que la piété filiale, la grandeur d’âme, le courage, l’égalité, la bonne-foi, l’amour de la patrie, la bienfaisance, etc, que toutes ces vertus, dis-je, érigées chacune dans un de nos anciens temples , deviennent les seuls objets de nos hommages, nous apprendrons à les suivre, à les imiter, en les adorant. De ces autels où nous les éléverons elles passeront dans nos âmes ; et la morale, cette base sacrée de toutes nos conventions sociales, cet organe précieux que la nature place toujours dans le cœur de l’homme, en lui donnant la vie, la morale, ce lien si nécessaire de tous les pactes, de tous les gouvernements, si longtemps obscurcie par la superstition dont elle était l’implacable ennemie, toujours par ces moyens en action sous nos yeux, et composant nos premiers devoirs, contribuera au bonheur général, et à l’affermissement de la République.

Si l’homme moral est l’homme de la nature, si d’une autre part le gouvernement républicain est celui de la nature, il faut que par un enchainement nécessaire, les vertus morales deviennent, les ressorts du caractère d’un Républicain ; et pour nous pénétrer de ces vertus, Législateurs, consentons à leur offrir un culte.

Qu’une fois par décade, la tribune de ces temples, ouverts en ce jour à la multitude retentisse des éloges de la Vertu révérée dans ce temple et de ceux des Citoyens qui l’auront mieux servie ; que des hymnes s’y chantent en l’honneur de cette vertu ; que l’encens fume aux pieds des autels qui lui seront érigés ; que chaque Citoyen, en sortant de ces cérémonies si dignes d’un gouvernement comme le nôtre, et s’excitant à la pratique de la vertu qu’il viendra de célébrer, en fasse sentir à son épouse… à ses enfants, et le bonheur et l’utilité ; ainsi l’homme s’épurera, ainsi son âme ouverte à la vérité, se nourrira de vertus où elle n’allait puiser que les vices dont le charlatanisme religieux l’empoisonnait autrefois.

Alors la prospérité générale, résulta certain du bonheur de l’individu, s’étendra aux régions les plus éloignées de l’Univers et partout l’hydre épouvantable de la superstition ultramontaine, poursuivie par les flambeaux réunis de la Raison et de la Vertu, n’ayant plus d’autre asile que les repaires dégoûtants de l’aristocratie expirante, ira périr près d’elle du désespoir de sentir enfin triompher la philosophie sur la terre.

SADE, Rédacteur,

Robespierre répondra, une semaine plus tard, dans son Discours pour la liberté des cultes prononcé au club des Jacobins : « Nous déjouerons dans leurs marches contre-révolutionnaires ces hommes qui n’ont eu d’autre mérite que celui de se parer d’un zèle anti-religieux… Oui, tous ces hommes faux sont criminels, et nous les punirons malgré leur apparent patriotisme. »

Le 8 décembre, Sade est incarcéré aux Madelonnettes comme suspect !

Sources : La pétition sur le site de la BnF / Photo – BnF

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