Aristophil, ou le dénouement de l’arnaque aux manuscrits autographes

Deux ans après la liquidation de la société de Gérard Lhéritier, 190 premiers lots estimés 12 à 16 millions d’euros vont être dispersés sous le marteau de Claude Aguttes, le 20 décembre, à Drouot. Au total, plus de 130.000 autographes devront être dispersés en 200 ventes organisées au cours des six prochaines années.

Un article de Valérie Sasportas et de Céline Carez.

C’est l’épilogue de la plus retentissante affaire d’escroquerie de l’histoire du marché des lettres et manuscrits. Son nom : « Aristophil ». Quelque 18.000 personnes ayant investi (80% en indivision) au moins 850 millions d’euros dans près de 135.000 autographes via la société Aristophil, avec une promesse de plus-value (8%) jamais honorée, retiennent leur souffle. Deux ans après la mise en liquidation judiciaire de la société bibliophile, la revente des œuvres va commencer.

Le 20 décembre, 190 premiers lots se voulant représentatifs de l’ensemble des domaines couverts par les collections Aristophil vont être dispersés dans le cadre d’une vente judiciaire et volontaire sous le marteau de Claude Aguttes, à Drouot, pour une estimation globale de 12 à 16 millions d’euros. Aussi spectaculaire qu’il puisse paraître, ce montant est dérisoire au regard des sommets atteints par ces autographes lors de leur acquisition par Aristophil.
Un film oublié d’Antoine de Saint-Exupéry et de son épouse Consuelo, les montrant tous deux en bateau au Canada en 1942, accompagné du Livre d’or du bateau, est estimé 15.000 à 20.000 euros.

Nommé il y a un an par le tribunal de commerce de Paris pour inventorier, conserver et restituer les œuvres aux propriétaires uniques, le commissaire-priseur a accompli « un travail militaire », dit-il, vantant la capacité de son nouvel outil informatique qui permet de « retrouver un manuscrit autographe en une minute ».

La vente inaugurale compte peu de lots phares mais de jolies pépites, dont le rouleau mythique des « […] 120 journées de Sodome ou l’école du libertinage » du Marquis Sade, estimé entre 4 à 6 millions d’euros (alors qu’il avait été acquis 7 millions par le fondateur d’Aristophil, Gérard Lhéritier). Le premier Manifeste du Surréalisme d’André Breton, y est proposé pour 800.000 à 1 million d’euros (alors que Gérard Lhéritier l’avait emporté pour 3,6 millions chez Sotheby’s).

Au total, 200 ventes devront être organisées au cours des six prochaines années. Un appel d’offres a été lancé par l’administrateur judiciaire, Pascal Hotte, pour déterminer quelles seront les autres maisons de ventes qui se partageront ces enchères.

Les ventes risquent cependant d’être un véritable casse-tête juridique. Les lots sont répartis en trois catégories : ceux de la liquidation, ceux détenus par un seul propriétaire et les lots détenus en indivision (jusqu’à 2 000 personnes pour un lot, principalement des petits épargnants ruinés).

L’objectif est de restituer aux victimes au moins une partie de ce qu’ils ont investi. Mais là aussi, la tâche risque d’être rude. Non seulement parce que la décote des pièces surestimées se dessine. Mais aussi parce que les victimes pourraient être spoliées deux fois… car l’État français lorgne sur ces enchères.

Les ministères des Affaires étrangères, de la Culture et des Armées peuvent, en effet, estimer que certaines de ces pépites historiques n’ont pas à finir dans une collection privée mais doivent retrouver le giron de l’Etat… cela sans débourser un sou !

Marquis de Sade - Aristophil, ou le dénouement de l'arnaque aux manuscrits autographes

Extraordinaire manuscrit autographe du plus scandaleux des textes de la littérature érotique, « Les 120 journées de Sodome ou l’école du libertinage » est écrit en 1785 à la Bastille. Bande de 33 feuillets collés bout à bout, formant un rouleau d’une longueur de 12,10 mètres sur une largeur de 11,3 cm, gribouillé au recto puis au verso est, ce que l’on pourrait appeler, le chef-d’œuvre du Marquis de Sade. Ce rouleau est une légende à lui tout seul !

C’est à la Bastille, où il est transféré le 29 février 1784, que Sade va mettre au net, sur cet étonnant rouleau de papier, les brouillons des « 120 Journées de Sodome », commencés, semble-t-il, deux ans plus tôt. À deux reprises, Sade a daté ce rouleau manuscrit : au bas du recto : « Cette bande a été écrite en 20 soirées de 7 à 10 heures du soir et est finie ce 12 7bre 1785 » ; puis à la toute fin : « Toute cette grande bande a été commencée le 22 8bre 1785 et finie en 37 jours » ; il a donc été écrit entre août et novembre 1785. Les feuillets sont délimités sur chaque bord par un épais trait à l’encre brune ; certains lés de papier portent leur numéro d’assemblage ; dans la marge, Sade a en outre porté le numéro de la journée de la première partie ; les feuillets sont remplis d’une petite écriture serrée à l’encre brune ; on relève quelques ratures et passages biffés.

Le roman se situe à la fin du règne de Louis XIV, peu avant la Régence. Sade présente d’abord longuement les quatre principaux protagonistes, de riches aristocrates libertins ; puis leurs femmes. Il s’agissait, dans le dessein des « quatre scélérats », non seulement de pratiquer toutes les débauches possibles, mais aussi, pour exciter leur lubricité, de se faire raconter (sur le modèle des « Mille et une nuits » ou du « Décaméron ») « tous les écarts les plus extraordinaires de la débauche » par quatre maquerelles expérimentées, chacune chargée du récit de 150 passions, dans une gradation allant des plus simples jusqu’aux plus atroces supplices et au meurtre durant chacun des quatre mois d’hiver au cours desquels tout ce monde va vivre enfermé dans le château de Silling, perdu dans la Forêt Noire. Ce roman constitue le plus « gigantesque catalogue de perversions », selon Jean Paulhan. « Jamais à aucune époque, dans aucune littérature, on n’avait rien écrit d’aussi scandaleux, d’aussi repoussant, d’aussi insupportable » écrit quant à lui Jean-Jacques Pauvert.

Ce rouleau, rangé à l’origine dans un étui, et caché entre deux pierres, abandonné par Sade dans son cachot de la Bastille quand on l’en a extrait brusquement le 2 juillet 1789 (douze jours avant la prise de la forteresse) pour le transférer à Charenton, fut retrouvé dans son cachot par un certain Arnoux de Saint-Maximin, qui le vendit à la famille de Villeneuve-Trans. Publié pour la première fois en 1904, de façon très fautive, par son nouveau propriétaire, le psychiatre et sexologue allemand Iwan Bloch (sous le pseudonyme d’Eugène Dühren), racheté en 1929 par Charles et Marie-Laure de Noailles, le manuscrit est confié à Maurice Heine qui en donne une édition de référence (1931-1935). À la mort des Noailles, le rouleau passe à leur fille Nathalie. Il est volé en 1982 par l’éditeur Jean Grouet, qui le vend illicitement au bibliophile suisse Gérard Nordmann. Une bataille judiciaire s’engage, menée par Carlo Perrone, le fils de Nathalie de Noailles ; la justice suisse, contrairement à la justice française, valide la possession du manuscrit par Gérard Nordmann.

Un temps déposé à la Fondation Bodmer à Genève, le manuscrit, à la suite d’une transaction entre la famille Nordmann et Carlo Perrone, est acquis en mars 2014 par Aristophil rentre enfin en France !

Vente Aristophil, exposition du 21 au 24 novembre en salle 9 à Drouot, 9, rue Drouot (IXe), puis du 19 au 20 décembre. Vente le 20 décembre.

Détails sur le produit
Poche: 450 pages
Editeur : 10/18 (24 septembre 1998)
ISBN-13: 978-2264026996

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Sources : Pour tout savoir de cette dispersion et la Photo / L’article de Valérie Sasportas pour Le Figaro / L’article de Céline Carez pour Le Parisien

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