3 – Les châteaux de la subversion

« Allié par ma mère, à tout ce que le royaume avait de plus grand ; tenant, par mon père, à tout ce que la province de Languedoc pouvait avoir de plus distingué ; né à Paris dans le sein du luxe et de l’abondance, je crus, dès que je pus raisonner, que la nature et la fortune se réunissaient pour me combler de leurs dons ; je le crus, parce qu’on avait la sottise de me le dire, et ce préjugé ridicule me rendit hautain, despote et colère ; il semblait que tout dût me céder, que l’univers entier dût flatter mes caprices, et qu’il n’appartenait qu’à moi seul et d’en former et de les satisfaire. »

Cette citation de Sade tirée de son roman « Aline et Valcour » est la parfaite introduction pour la série estivale de cette année. Effectivement, cet été j’ai décidé de vous parler — du moins de vous présenter — les principaux châteaux où vécut le Marquis de Sade.

De sa naissance à sa mort, Sade traversa le pays. Du Sud au Nord en passant par la Bourgogne, Sade circula dans le royaume. Parfois dans le confort certain du luxe de ses châteaux. D’autres fois dans l’inconfort que pouvaient être les prisons de cette époque. Mais à chaque fois, ces étapes marquèrent sa vie au point de le hanter ou de les faire rejaillir dans ses histoires.

Troisième étape d’un feuilleton que j’ai nommé « les châteaux de la subversion » en clin d’œil au livre d’Annie Lebrun : le Château d’Échauffour.

Marquis de Sade - 3 - Les châteaux de la subversion

Jamais contraste entre époux ne fut plus frappant ! Lui, un écrivain parisien scandaleux, satyre convaincu de vices et de crimes immondes, elle, une jeune Normande, aimante, tendre, dévouée et résignée, aux yeux de qui l’époux ne saurait avoir de torts, une sainte de l’amour conjugal !

Elle est née Renée Pélagie de Montreuil. Son père, Claude René Cordier de Launay, Marquis de Montreuil, est propriétaire de la seigneurie d’Echauffour, située au cœur du département normand de l’Orne. Sa mère, Marie-Madeleine Masson de Plissay, sera jusqu’à sa mort en 1798, la grande dame du château.

Fille aînée du couple, plus gracieuse que belle, elle à 23 ans quand elle épouse le 17 mai 1763, à l’Église Saint-Roch de Paris, un jeune marquis d’un an son cadet, capitaine de cavalerie, brillant soldat des campagnes d’Allemagne, Donatien Alphonse François qui allait devenir, hélas, le trop célèbre Marquis de Sade.

Si, à la vérité, le jeune marié s’est au départ montré plus intéressé par sa jeune belle-sœur Anne Prospère, à la beauté piquante, il s’est finalement plié à la volonté de sa belle-mère qui voulait que son aînée soit établie en premier. De sa femme, il écrira « Je n’ai pas trouvé la petite laide, dimanche ; elle est fort bien faite, la gorge fort jolie, le bras et la main fort blanche. Rien de choquant, un caractère charmant. »

Mariage de raison d’un côté, mariage d’amour de l’autre, le couple s’entend bien et auront trois enfants. Elle aime son mari et l’aimera jusqu’au bout de ses forces, et ce malgré ses nombreux écarts de conduite.

Le 29 octobre 1763, il est arrêté une première fois dans sa garçonnière parisienne pour « débauche outrée » et est enfermé, sur ordre du roi, au donjon de Vincennes à la suite d’une plainte déposée par une prostituée occasionnelle qui n’a pas apprécié les petits jeux sadiques et blasphématoires du Marquis. Libéré sur intervention de sa belle famille, il est assigné à résidence et séjournera jusqu’en septembre 1764 au château familial d’Échauffour.

Une fois sur place, il n’a vraisemblablement pas perdu de temps à compter les cailloux car dans une lettre de sa belle-mère, datant du même jour, celle-ci nous apprend que sa fille est « grosse de trois mois ».

La Marquise de Sade est donc enceinte du premier enfant du Marquis. À Echauffour les jours passent, ainsi que les mois. La grossesse de Renée Pélagie se passe bien, elle a des maux de cœur mais rien de méchant. Pourtant, mise à part la lettre de sa mère — si fière de devenir grand-mère grâce à un marquis dont la famille était apparentée aux Condé — aucune ne viendra détailler la grossesse de Renée Pélagie ; pas même une pour annoncer la naissance de l’enfant. Que s’est-il passé pour qu’un tel noir s’installe ? La correspondance a-t-elle fini au feu ?

Marquis de Sade - 3 - Les châteaux de la subversion

C’est le curé de la paroisse de Bry-sur-Marne de cette époque qui nous apprend que la Marquise a accouché d’une fille le 15 août 1764 et que cette dernière fut ondoyée le 17. Malheureusement, le bonhomme nous apprend également que la petite demoiselle fut inhumée dans son cimetière deux mois et demi après sa naissance.

« Le 22 octobre 1764 a été inhumé dans le chœur de cette paroisse par nous curé soussigné le corps d’une fille décédée d’hier chez François Rossignol jardinier de la maison de Mr. Damond, sise dans cette paroisse, âgée de deux mois et treize jours laquelle a été ondoyée par Mr. Levasseur accoucheur par permission de l’archevêché le 17 août dernier et née le 15 du même mois d’août et est fille de Messire Louis Donatien Aldonse de Sade, Marquis de Sade lieutenant général de la province de Bresse et de Pélagie Cordier de Montreuil ses père et mère de la paroisse de la Madeleine de la ville l’évêque rue neuve du Luxembourg l’inhumation faite en présence de Joseph Teissier valet de chambre du père de l’enfant et de François Rossignol père nourrissier de l’enfant qui ont signé avec nous. »

Ce bref avis d’inhumation a le mérite d’éclaircir et de mettre en lumière une lettre du Marquis adressée à son oncle peu de temps après cet événement. Récemment investi des terres et seigneuries de Lacoste, il écrit à ce dernier pour lui demander qu’il s’occupe de diverses affaires dans sa nouvelle propriété. Le message serait basique, voire même banal, si, au début de celui-ci, Sade, dans une langue somptueuse, n’annonçait pas la mort de son premier enfant.

« Le ciel n’a pas voulu me laisser jouir longtemps du bonheur d’être père, mon cher oncle, il vient de m’enlever ma petite fille. Quoique la malheureuse enfant n’ait pas assez vécu pour laisser des regrets bien vifs, la perte d’un premier est toujours fort affligeante. […] »

On peut aussi se demander pourquoi Sade n’était pas présent à l’enterrement de sa propre fille. Souvenez-vous de la chronologie. En avril 1764, le Marquis avait reçu l’autorisation de quitter Echauffour et de résider à Paris pour ses affaires. Il y était, semble-t-il, en été ; il a donc assurément été au chevet de sa femme après l’accouchement, mais il ne pouvait pas sortir de Paris… du moins pas encore, car il faudra attendre le mois de septembre pour que le roi décide d’annuler définitivement son assignation à résidence. En octobre Sade est donc libre d’aller où il veut… y compris à Bry-sur-Marne, commune voisine de Vincennes. Est-il au courant de la décision du roi ? Avait-il peur de croiser, sur la route de Bry-sur-Marne, le donjon de Vincennes ? Quant à sa femme Renée Pélagie, où est-elle ? Deux mois après sa naissance, il paraîtrait logique qu’elle soit avec son bébé… et qu’elle assiste à la mise en terre de sa fille !

Eh bien non ! Pour autant que nous sachions, et aussi étrange que cela puisse paraître, les parents des nourrissons décédés n’assistaient que très rarement aux obsèques de leurs enfants. C’est donc le valet de chambre Joseph Teissier, accompagné du père nourricier François Rossignol, qui remplaça le Marquis et sa femme à la signature du registre.

Le meilleur, dans cette histoire, fut que la pauvre petite n’avait toujours pas de prénom quand elle mourut. Etait-ce une coutume curieuse voulant que l’enfant reçoive son prénom lors du baptême ?… et tant pis s’il partait avant l’heure, Dieu, ou autre chose, serait le rattraper là-haut. Sade voulait mourir sans épitaphe, sa fille l’aura précédé dans ses dernières volontés… Paie à son âme !

S’il vous vient l’idée de vouloir lui rendre visite, n’hésitez pas, car l’ancien cimetière de Bry-sur-Marne existe encore : il se situe derrière les locaux de l’Institut National de l’Audiovisuel, non loin de la gare de RER.

De retour dans la capitale, Sade reprend très vite sa vie de débauche et multipliant les liaisons. De guerre lasse, la Marquise obtiendra finalement en 1790 la séparation de corps. Le Marquis ne remettra jamais les pieds à Échauffour. Il mourra à l’asile de Charenton où Napoléon l’avait fait enfermer. Quant à la Marquise, elle mourut en 1810 et fut inhumée chez elle, à Échauffour, auprès de sa fille Madeleine Laure dans le petit cimetière du village.

Sources : Cimetière du Père Lachaise – Anonyme / L’article sur le site Passion Généalogie / Photo – Carte postale du Château d’Échauffour

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