Ô Dieu immortel ! Ô sagesse immuable !

Aujourd’hui, c’est l’Ascension. Nous sommes en Provence, au pied du Mont Ventoux. Il fait un temps magnifique et en mai les cerisiers ont fini leur floraison, laissant place à celle des oliviers… la lavande, elle, attendra encore quelques semaines. Il fait beau et ce jour-là, la Marquise Émilie de Montbrun, accompagnée de son ami l’Abbé Jean-Antoine Constantin — curé d’Aurel —, a décidée de partir en excursion !

Sur la place centrale du village d’Aurel, le cadran solaire indique 10h00 du matin. La route est longue pour atteindre le sommet du Mont Ventoux. La Marquise et son ami se mettent donc en branle, prennent tout ce qu’il leur faut pour grimper là-haut et commencent leur ascension.

Le village d’Aurel possède une très belle lumière et offre un panorama unique sur toute la région. Accroché sur un promontoire. Des ruelles étroites et caladées. Des maisons anciennes aux pierres apparentes. Des maisons blotties les unes contre les autres, regroupées autour d’une église massive comme si elles cherchaient à se tenir chaud.

Autour, dans la campagne : les oliviers, les champs de lavandes et les forêts de pins sylvestres, celles de pins à crochets, de mélèzes, de cèdres, ou de hêtres, font de ce coin du monde un endroit magique… un endroit aux couleurs changeantes selon les saisons, un endroit hors du Temps !

Face à la fontaine de l’oratoire, la Marquise précède le curé sur le chemin passant devant le lavoir et contournant le village par-dessous. Ce léger détour, leur permet ainsi de voir l’ensemble du village avec ses belles façades de pierre et de croiser quelques brebis venant boire avec leur pâtre à la source du Riou, un petit ru, près d’un enclos à chevaux à l’ouest du village.

Vient ensuite, les premières difficultés : une suite de petites pentes raides à travers le versant boisé du Collet Blanc. Au sommet de cette petite colline, nos deux amis s’arrêtent quelques instants pour souffler et profiter du point de vue ; en face d’eux, aussi loin que porte le regard, des champs de lavande recouvrent la plaine environnante ; de l’autre côté, là où ils vont, les ruines d’une cabane de pierres sèches avec sur la gauche une distillerie de lavande, arrêtée pour le moment, mais fonctionnant sûrement à plein régime durant la saison de floraison au milieu de l’été.

La plaine passée, nos deux amis doivent passer de 700 mètres à 1000 mètres par une piste rocailleuse où seuls semblent s’aventurer les gens expérimentés dans ce genre d’excursion. Sortis de cet étroit passage, ils rentrent dans la forêt d’Aurel et poursuivent la piste jusqu’à une ancienne carrière. Dans un virage, une cabane, un abri de chasseurs ; aux environs directs : de nombreux chasseurs en battue… l’endroit regorge de chevreuils et de cervidés !

Il est Midi passé, quand ils arrivent au-dessus du Ventouret. La Marquise et l’Abbé commencent à avoir faim, ce sera après la descente qu’ils poseront leurs affaires pour déjeuner au soleil… sur les restanques d’un petit mas provençal.

Marquis de Sade - Ô Dieu immortel ! Ô sagesse immuable !

Le repas englouti, le périple peut reprendre. Direction la Chapelle Notre-Dame de l’Assomption, bâtie un siècle auparavant par les habitants du Ventouret sur le lieu-dit « Les Puits ». Ensuite, ce sera le chemin montant vers le sommet du Ventoux, sur 200 mètres, plein Nord, jusqu’à la patte d’oie… point de jonction du chemin forestier qui relie les Reynards à La Tune.

La Marquise et l’Abbé s’arrêtent alors pour décider de la route à prendre… À cet endroit, deux solutions s’offrent à eux. La première qui serait de continuer à gauche vers le sommet, rejoindre la tête du Géant et s’oublier en haut à contempler ce que leur offre à voir l’Enfant du pays ; et la seconde, plus raisonnable, qui serait de suivre la piste vers la droite et rebrousser chemin en direction des Marrans pour revenir vers Aurel.

Le temps semble au beau fixe… cependant, en mai le temps change rapidement. De gros nuages pointent au loin, indiquant une averse prochaine. Ils décident de remettre à plus tard leur ascension et partent à droite, quittant la piste au niveau des Caussets — point haut de leur parcours — pour une piste de terre qui file à travers la forêt.

À la croisée des chemins, passé « Le Jas de la Reilhanette », où ils s’étonnent de ne croiser aucun mouton, ils amorcent leur descente vers la vallée par le sentier de droite… à travers une forêt de chênes. C’est là que la Marquise, à l’oreille du curé, lui dit trouver le lieu très agréable et propice à chercher Priape. Connaissant les travers du cousin de son amie, l’abbé ne désarçonna pas et répondit à la Marquise qu’il serait dommage de « salir » un si bel endroit et qu’une bergerie isolée serait plus propice à faire apparaître le Dieu.

Plus tard, c’est au-dessus de la Combe du Braquet qu’ils s’extasièrent au divin alignement qu’ils s’offraient en faisant face au village d’Aurel et — plus loin — à la Montagne d’Albion. Suivant une sente caillouteuse aux côtés recouverts d’arbres rabougris et à la végétation clairsemée, c’est avec un sentiment de contentement qu’ils finirent par arriver au bas de la descente, retrouvant le chemin qui les avait menés, le matin même, à la source du Riou… ce sera ensuite la remontée sous le village, juste à temps pour se mettre à l’abri, les premières gouttes de pluie commençant à tomber.

— Quelle belle journée, dit la Marquise, remettons ça quand vous voulez !
— J’envisage cet été, avec le Chevalier Robert de Lamanon, de faire une excursion nocturne afin d’admirer le lever du Soleil depuis le sommet du Mont… Très chère amie, si cela vous convient, vous y êtes la bienvenue.
— Ne voulez-vous pas, avant ça, monter d’autres monts ?
— Je connais effectivement certains endroits avec des vergers aux fruits fort délicieux.
« Monsieur l’Abbé », vous chatouillez ma curiosité… Veuillez développer vos propos !

La pluie persista… Montbrun est si loin sous cette eau transperçant la peau, que la Marquise choisit de finir sa soirée au prieuré avec son ami. Le curé, fidèle dans sa foi, ne manqua pas de l’accueillir comme il se doit à sa table. La Marquise reçut ce que l’abbé lui offrit : ce fut soupe à l’ortie et dinde farcie. Le repas dura et les heures passèrent. En ce jour d’ascension, l’abbé ne put se retenir d’expliquer à la Marquise le mystère de l’élévation ; la Marquise sentit le divin et s’ouvrit au Seigneur. Ce n’est que tard dans la nuit, une fois la bénédiction du curé donnée et l’orage terminé, que l’attelage l’ayant amené le matin la ramena chez elle… quelques kilomètres plus loin.

Marquis de Sade - Ô Dieu immortel ! Ô sagesse immuable !

Selon Guy Barruol, directeur de recherches au CNRS et enfant du pays, le premier véritable excursionniste du Mont Ventoux fut l’abbé Jean-Antoine Constantin, curé d’Aurel. De 1783 à 1788, il se fit souvent accompagner par Émilie de Sade, Marquise de Montbrun — et cousine par alliance du célèbre Marquis — en compagnie de laquelle, il fit plusieurs expéditions qui les conduisirent au sommet du Ventoux. En août 1783, le curé botaniste narra à Esprit Calvet, l’ascension nocturne à laquelle avait participé le chevalier Robert de Lamanon, seigneur du Ventouret, et lui indiqua qu’il eut le plaisir, lors du retour, d’entendre « Madame de Sade conférer avec Monsieur de Lamanon d’histoire naturelle ».

Détails sur le produit :
Nom : Le Mont Ventoux : Encyclopédie d’une montagne provençale
Auteur : Guy barruol
Broché: 348 pages
Editeur : Alpes de lumière (19 juillet 2007)
ISBN-13: 978-2906162921

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Sources : Idée de fond tirée du blog randos-photos-passions / L’excursion sur le GeoPortail / Photos – CharlesNicolas

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