L’ogre et le nain

Printemps 1803. En Normandie, une pluie de météorites rougit le ciel, ouvrant aux scientifiques l’affolante perspective d’une vie extraterrestre. Au même moment, dans l’Est parisien, c’est un autre ovni à l’odeur de soufre qui atterrit à l’hôpital de la Charité de Charenton-le-Pont, aux portes de Paris.

Un article d’Aurélie Selvi.

Nous sommes le 27 avril et Donatien Alphonse François de Sade pose ses valises dans une chambre meublée de cet hospice pour aliénés, bâti en 1641, pour y purger une longue peine. Deux ans plus tôt, les hommes de Fouché, le redoutable ministre de la Police du consul Bonaparte, ont ferré l’auteur libertin chez Massé, son éditeur, en pleine confection clandestine de ses incestueux « Crimes de l’amour ».

Après un passage par la prison de Sainte-Pélagie, le pornographe insoumis, qui a déjà croupi derrière les barreaux de 1777 à 1790, de Vincennes à la Bastille, use du poids de sa noble famille : contre une annuité de 3 000 francs financée par ses fils, il troque les infâmes geôles parisiennes de Bicêtre contre les jardins de cet asile du Val-de-Marne.

Quand il en franchit l’enceinte, l’ex-séducteur est méconnaissable. Ventru, bouffi, énorme. A 63 ans, l’intellectuel libertaire s’est mu en un impressionnant Barbe bleue, au souffle court et à la démarche empêchée. Mais alors qu’il s’apprête à vivre là son purgatoire, sa rencontre avec François Simonet de Coulmier, le régisseur de l’asile, va tout bouleverser.

Aussi petit que Sade est gros, ce directeur… nain et bonapartiste chevronné, qui gère son hospice d’une main de fer, nourrit des idées d’avant-garde : il est convaincu que le théâtre peut aider les dégénérés à apprivoiser leur folie.

Dès 1805, Coulmier met son plan à exécution. Dans l’enceinte de l’hospice, on érige une scène et un parterre, prêt à accueillir près de 200 spectateurs. Et pour mettre en musique son étrange thérapie, le directeur enrôle son VIP prisonnier d’Etat. Le Marquis de Sade, qui obtient l’autorisation d’installer sa maîtresse Marie-Constance Quesnet à l’asile dès 1804, réalise alors son rêve de gosse : devenir dramaturge.

Marquis de Sade — L’ogre et le nain

Le vieil ogre, flanqué de son binôme lilliputien, prend la plume pour écrire des saynètes, qu’on dit mièvres, dans lesquelles il se met en scène entouré d’attardés mentaux, castés dans les travées de l’asile. Succès immédiat. Pour se délecter de cette troupe à la « Freaks » emmenée par le sulfureux auteur, que beaucoup croyaient mort, l’intelligentsia afflue.

« Tout Paris y courut pendant plusieurs années. Les aliénés présents étaient l’objet de l’attention, de la curiosité d’un public léger, inconséquent et quelquefois méchant. […] Après le lever du rideau, une intrigue d’amour se développait en présence d’une femme hystérique et folle, toutes ses facultés affectives étaient mises en émoi… », relatera en 1835 le psychiatre français Jean Etienne Dominique Esquirol. Mais la parenthèse ne tarde pas à faire long feu.

Dès 1808, ces loufoqueries scéniques ne sont pas du goût du docteur Royer-Collard, fraîchement nommé à l’hospice. Dans une lettre au ministre de la Police générale de l’Empire, il dénonce le pensionnaire Sade, « un homme dont le seul délire est celui du vice », et les agissements de Coulmier. En 1813, le nain est remercié.

Pour Sade, la fête est finie. Ou presque. Déprimé, l’incorrigible s’offre un dernier et confidentiel émoi érotique avec Madeleine, la fille d’une employée de l’hospice, âgée de 14 ans. Ultime transgression avant qu’une embolie pulmonaire ne l’emporte en 1814, à Charenton.

Sources : L’article d’Aurélie Servi sur Internet / Photo – E.J.D.

Pour en savoir plus , fondateur du forum et de ce blog.