Je ne sais si c’était vrai ou faux

L’histoire se déroula il y a bien longtemps, au temps où le pays d’Oc hésitait entre l’ordre et la barbarie, une époque d’un autre âge, celle où les troubadours colportaient l’Histoire aux gens qu’ils croisaient ; une époque dite obscure, scellée du sceau de la Religion.

C’est à ce moment que choisit de mourir la Coulobre. Serpent volant, vivant dans un trou d’eau du Sud de la France, la Coulobre n’a pas survécu à son meurtrier. Elle n’était que simple couleuvre, glissant dans les herbes hautes de la garrigue environnante, se prélassant au soleil sur les bords de la Sorgues… le cours d’eau coulant au fond de son vallon, là où se trouve son trou. Pourtant, de simple couleuvre, elle n’avait que le nom, de celle qu’on connaît, tout y était, sauf la taille, démesurée, exagérée, disproportionnée, car la Coulobre était géante, énorme, titanesque.

Moitié dragon, moitié bête fabuleuse, une tête immonde, un corps visqueux, couvert d’écailles phosphorescentes, muni de curieuses ailes de chauve-souris, la Coulobre restait la plupart du temps cachée dans son trou, à attendre, ne sortant la nuit que pour se nourrir ou se désaltérer ; terrorisant au passage tous les habitants du village installés plus bas.

Toutes ses journées étaient identiques : elle attendait le jour d’après, s’occupant à imaginer son futur époux, celui qui viendrait la sortir de son trou ; un trou certes joli mais un trou un peu perdu, un trou où personne n’osait s’aventurer. Il faut dire qu’un serpent de cette taille, avec des ailes et des yeux à faire hurler Méduse, il n’y en avait pas deux… du moins en Provence, à Fontaine-de-Vaucluse.

Marquis de Sade — Je ne sais si c’était vrai ou faux

Sa vie bascula lorsque le jour tant attendu arriva. Ce jour-là un dragon plus malin que les autres ne s’arrêta pas au caractère farouche et à la laideur de la dame, réussissant à dompter et à séduire ce qui ressemblait à une congénère. De cette union naquit une belle salamandre noire constellée de taches d’or qui existe encore dans le pays d’aujourd’hui. Hélas, comme tous les dragons, ce dragon solitaire ne tarda pas à abandonner sa Princesse.

La Coulobre chercha alors désespérément un nouvel époux, afin de l’aider à élever son enfant, mais sa beauté terrible repoussait toujours les prétendants. La haine emplissant à présent la Coulobre, l’hideuse créature resta alors tapie au fond de sa rivière, rongée par la honte et par la solitude, attendant la tombée de la nuit pour le plus grand malheur des villageois traînant encore là.

Et, encore une fois, les jours s’enchainaient, les veilles ressemblant aux lendemains et les mois aux suivants, d’années en années jusqu’à ce moment où elle croisa un troubadour au verbe et aux vers enchantés… parlant d’une dame à l’arc qui l’aurait percé, d’un regard qui l’aurait enchaîné ou de déclarations jamais entendues.

Ce poète, pensa la Coulobre, aurait-il le même problème que le sien ? Aurait-il du mal à trouver l’amour ? Ce pourrait-il qu’il soit l’amour tant attendu ? Aurait-elle enfin trouvé son Prince charmant ? Il faut qu’elle sache, il faut qu’elle le voie une autre fois, plusieurs fois, qu’elle le séquestre, à la rigueur, mais il ne faut pas qu’il dise non, qu’il s’en aille, qu’il s’acoquine à une autre, il est son nouvel amour… il doit l’être, il ne peut être autrement que ce qu’elle a décidé.

Du temps s’écoula, beaucoup, elle attendit, elle était patiente… enfin le jour arriva, celui où le poète, alors qu’il déambulait en bordure de la Sorgues avec Laure de Sade sa bien-aimée, se retrouva face à elle. Mais l’effet ne fut pas celui escompté, la bête immonde comprit finalement que cet amour imaginé avec ce nouvel amant serait impossible.

Marquis de Sade — Je ne sais si c’était vrai ou faux

Pétrarque n’y alla pas par quatre chemins, préférant sacrifier sa vie à celle de sa muse, il prit son arme, fit face à la bête, leva les bras, hurla et s’avança à la rencontre de son adversaire. La Coulobre ne se laissa par impressionner, elle résista, le combat fut fabuleux, légendaire, elle ouvrit sa gueule et lança vers lui un liquide aux vapeurs pestilentielles. D’un bon il esquiva le poison et dans un enchaînement de mouvements dignes des plus grands maîtres d’arts martiaux chinois, le poète se recentra sur la bête et lui assena un coup qui lui fut fatal. Le coup d’épée fut rapide, vif, précis, il tua la créature… d’un simple geste la Coulobre était morte.

Pétrarque constata alors que sa bien-aimée n’eut pas la même chance que lui. Laure était là, suffoquant, elle venait de respirer les vapeurs du jet nauséabond lancé par l’horrible créature. Si Laure survécut à ce combat épique, elle ne guérira jamais complétement. Le diagnostic était sans appel : poison lent assurant une mort toute aussi lente, une mort certaine… d’un mal ressemblant à la peste.

Date du décès : le 6 avril 1348. Laure venait d’avoir 40 ans, c’était il y a 669 ans !

Sources : Coulobre par Pellerin dans « La Petite aux grelots » / Photo : Résurgence de la Sorgues – Inconnu

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