Lettres de mon moulin

Alphonse Daudet n’a que 23 ans lorsqu’il commence à avoir l’idée des « Lettres de mon moulin », à Fontvieille, le village où est situé le fameux moulin.

Bien qu’ayant séjourné plusieurs fois dans la région, l’écrivain n’était pas pour autant un troubadour provençal. Quand il venait profiter de l’ombre du moulin, au château de Montauban tout proche, c’était surtout pour venir se reposer après avoir été malade. Depuis sa naissance, Alphonse Daudet souffrait effectivement régulièrement de maux divers ; maux qui finiront par l’emporter en 1897, à l’âge de 57 ans. Le moulin, lui, n’était qu’un catalyseur d’inspiration qui lui permit de rédiger ses Lettres.

La légende, quant à elle, s’est installée : aujourd’hui, quand les touristes viennent à Fontvieille, c’est pour visiter « Le Moulin de Daudet ». On raconte qu’il aurait acheté le Moulin, qu’il y aurait vécu et même qu’il y serait mort. En réalité, ce moulin ne lui appartenait pas, il ne l’a jamais habité et il est mort à Paris. Ce moulin a pourtant fait naître une irrépressible envie d’écrire à Alphonse Daudet sans que cette minoterie ne soit à lui ; l’emploi du possessif dans le titre des « Lettres de mon moulin » a sans doute contribué à ce que la plupart des gens soient persuadés qu’il était à lui… la légende était lancée !

Marquis de Sade - Lettres de mon moulin

« Son »  moulin existe donc bel et bien, situé au cœur de la Provence, perché sur sa colline, à quelques kilomètres du château d’un certain Louis-Elzéar de Sade. Ancien page de la Grande Ecurie du Roi, puis mousquetaire de la Seconde Compagnie de sa Majesté, et enfin enseigne des Gardes Françaises. Obligé de quitter le service après une malheureuse blessure, Louis-Elzéar décide de venir bénéficier, avec sa femme, du calme de sa demeure provençale ; charmante bâtisse qu’il habitera jusqu’à sa mort en 1756.

Comment passe-t-on de Daudet à Sade, me diriez-vous ?

Eyguières, le village où se trouve le château du lointain cousin du Marquis du même nom, est mentionné dans les « Lettres de mon moulin » d’Alphonse Daudet…

« Il faut que tu me rendes un service, mon ami. Tu vas fermer ton moulin pour un jour et t'en aller tout de suite à Eyguières... Eyguières est un gros bourg à trois ou quatre lieues de chez toi, – une promenade. »

Dans cette lettre, Le narrateur rend visite à Eyguières aux grands-parents d’un ami prénommé Maurice. Arrivé sur place, celui-ci trouve le village d’Eyguières désert et a bien du mal à identifier la maison où habitent les deux vieillards.

« J’arrivai à Eyguières vers deux heures. Le village était désert, tout le monde aux champs. Dans les ormes du cours, blancs de poussière, les cigales chantaient comme en pleine Crau. Il y avait bien sur la place de la mairie un âne qui prenait le soleil, un vol de pigeons sur la fontaine de l’église ; mais personne pour m’indiquer l’orphelinat. »

Le petit peuple provençal étant encore bien présent à l’époque des faits racontés, le narrateur n’a donc pas à attendre longtemps pour que la fée du village vienne l’aider… fée de premier ordre, selon l’ami de Maurice.

« Par bonheur une vieille fée m’apparut tout à coup, accroupie et filant dans l’encoignure de sa porte ; je lui dis ce que je cherchais ; et comme cette fée était très puissante, elle n’eut qu’à lever sa quenouille : aussitôt le couvent des Orphelines se dressa devant moi comme par magie... C’était une grande maison maussade et noire, toute fière de montrer au-dessus de son portail en ogive une vieille croix de grès rouge avec un peu de latin autour. À côté de cette maison, j’en aperçus une autre plus petite. Des volets gris, le jardin derrière... Je la reconnus tout de suite, et j’entrai sans frapper. »

Maurice, une fois à l’intérieur, fit la connaissance de deux vieillards très touchants.

« Pendant ce temps, un drame terrible se passait à l’autre bout de la chambre, devant l’armoire. Il s’agissait d’atteindre là-haut, sur le dernier rayon, certain bocal de cerises à l’eau-de-vie qui attendait Maurice depuis dix ans et dont on voulait me faire l’ouverture. Malgré les supplications de Mamette, le vieux avait tenu à aller chercher ses cerises lui-même ; et, monté sur une chaise au grand effroi de sa femme, il essayait d’arriver là-haut… Vous voyez le tableau d’ici : le vieux qui tremble et qui se hisse, les petites bleues cramponnées à sa chaise, Mamette derrière lui haletante, les bras tendus, et sur tout cela un léger parfum de bergamote qui s’exhale de l’armoire ouverte et de grandes piles de linge roux… C’était charmant. […] Le repas terminé, je me levai pour prendre congé de mes hôtes. Ils auraient bien voulu me garder encore un peu pour causer du brave enfant, mais le jour baissait, le moulin était loin, il fallait partir. »

Marquis de Sade - Tout ce qui est sans mesure est bien !

Le Moulin Saint-Pierre, moulin Ribet ou le Moulin d’Alphonse Daudet, appelez-le comme il vous chante, est classé au titre des monuments historiques depuis le 6 mars 1931. Hasard curieux ou coïncidence heureuse, le moulin fut construit en 1814… année de mort de Donatien-Alphonse-François, Marquis de Sade ; ainsi, inconsciemment, nos deux Alphonse étaient liés par une sorte de pacte secret.

Pour bien saisir le lien entre les deux branches Sade, celle d’Eyguières, avec Louis-Elzéar, et celle du Marquis, il faut savoir que la petite-fille du premier, Louis-Gabrielle-Laure, fut mariée avec le propre fils du second, Donatien-Claude-Armand… Intéressant non ?

Alphonse Daudet a-t-il lu le Marquis de Sade ? Connaissant ce détail de l’histoire, à n’en point douter. Dorénavant, les « Lettres de mon moulin » se révéleront à vous sous un autre jour…

Dernière chose : Nous sommes aujourd’hui le 9 février. Il y a environ 260 ans que Louis-Elzéar de Sade à choisi de nous quitter. N’hésitez pas à avoir une petite pensée pour lui, il sera content de savoir que l’on pense à ses mânes.

Sources : Les « Lettres de mon moulin » d’Alphonse Daudet / Photo du Moulin – Anonyme / Photo du Moulin – Anonyme

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