Dès qu’ils l’aperçurent, ils l’adorèrent

Le 2 Décembre 1814 meurt Donatien Alphonse François de Sade, sans doute « l’être le plus libre qui fut » !

Quelques jours plus tard la police brule ses manuscrits équivoques et le fils de Sade, Claude Armand, rachète aux enchères… ce qui reste, dont les pièces de théâtre chères au Marquis. Il les enferma dans une malle, emmena ce qu’il avait récupéré au Château de Condé en Brie sur les bords de la Champagne et déposa tout ce qui avait appartenu à son père sous les toits tout juste accessibles par un escalier dérobé caché derrière des étagères de bibliothèque : Sade dissimulé à la face du monde par des livres !?

De ce jour, un tabou total s’est abattu sur la famille.

Un article de Thibault de Sade.

Moins d’un siècle et demi plus tard, nos parents, jeunes mariés d’à peine vingt ans, s’installent dans le château familial dévasté par la seconde guerre mondiale qui vient juste de se terminer. Ils ne peuvent imaginer que leur vie va être totalement bouleversée.

Une chape de plomb s’est abattue sur le souvenir du Marquis de Sade. Le tabou a été total. Il est devenu un complet inconnu. Pire son nom a été gratté sur l’arbre généalogique !

Sade avait disparu de la surface de la terre et de l’esprit de sa famille… comme il l’avait étonnement souhaité dans son testament.

Quelques mois plus tard arriva à l’improviste à Condé en Brie, Gilbert Lely, poète et fou amoureux de Sade — comme tous les surréalistes —. Inconsciemment il changea, à l’instant, la vie de nos parents.

A cet instant, le tabou fut levé. A cet instant, Sade renaissait de ses cendres.

Commença alors un long cheminement pour nos parents : découvrir qui était ce personnage. Les archives familiales furent ouvertes avec pour seul but et unique volonté de dire la vérité sur cet ancêtre inconnu : pas de rumeurs, pas de croyances, pas de délires, la vérité seule.
Et Dieu que cela pouvait être déstabilisant pour des jeunes gens élevés dans des valeurs diamétralement opposées à celles de Sade !

Année après année, ils découvrirent la vie de cet homme, ses œuvres, ses lettres. Une vie incroyable de cape et d’épée sous la Monarchie, la Révolution, l’Empire et la Restauration.


Année après année ils ont transmis à leurs cinq enfants leur passion pour cet homme mal connu, rejeté par tous et que « rien ne pouvait réduire ».

Année après année, à l’heure du café après le repas familial, nos parents nous lisaient les dernières lettres retrouvées !
 Sade devint notre quotidien, à travers ses lettres et son amour pour le théâtre.

Ah ses lettres ! Œuvre épistolaire majeure qui nous permit de connaitre l’homme avant l’auteur.

Découvrir sa passion dévorante pour le savoir, au cœur du siècle des Lumières : philosophie, histoire, géographie, art militaire, sciences, ethnologie, anthropologie, théologie, politique… tout pour Sade est connaissance, rien ne lui échappe (il aura jusqu’à 600 livres dans sa cellule de la Bastille), il veut tout lire, tout savoir, tout vivre et tout cela se voit dans ses lettres. Lettres de passions et de force volcanique, de cynisme et d’humour, de férocité et de tendresse…

Face à ces papiers passifs et reposés, personne n’imagine les drames et les souffrances, les sursauts de l’histoire et les « larmes de sang ».


Lorsque vous prenez une lettre de Sade, un cahier broché ou un petit billet couvert de son écriture, une sensation étrange vous saisit. Le papier vibre, respire, transmet un message. Papier pale et léger, porteur d’espérance ; papier bleuâtre ou vert passé, signe de maladie ou de procès ; papier déchiré ou brulé, papier de fièvre et de délires ; papier de sang, papier d’abime, papier codé ; papier morcelé et recousu — ah le manque de papier, d’encre et de plume — ; papier de force, papier de fin, papier de mort ; papier de tout, papier sur tout, papier surtout !

Vivre ce contact avec les lettres de Sade, vivre cette découverte, c’est accepté d’être lié à lui, éternellement.

Marquis de Sade - Dès qu'ils l'aperçurent, ils l'adorèrent

Et le théâtre de Sade ?


Sade est théâtre, intensément théâtre, immensément théâtre. Sade, homme de lettre, voulait être reconnu comme homme de théâtre. Sa vie et ses pensées vont au théâtre. De son enfance à sa mort cette passion ne le lâchera jamais. Des oubliettes du château de son enfance en Provence au théâtre des fous à Charenton, du Collège des Jésuites de Louis le Grand aux cellules de la Bastille et du Donjon de Vincennes, tout est théâtre pour Sade. Théâtre sadien.


Le théâtre est sa vie. Et sa vie est théâtre. A chaque instant, il se met en scène, dans sa fuite en Italie, dans ses multiples prisons, dans son rejet de la Monarchie absolue et de la Terreur.

Il se regarde écrire.

Il se voit vivre.

Il est l’acteur dramatique de sa vie !


Sade est infiniment multiple. Il ne rentre dans aucune case. Il est inclassable. Car il est, avant tout, Libre.

Toute leur vie, nos parents se sont battus pour faire connaitre Sade, contre les préjugés, contre les mensonges et pour la vérité, quelle qu’elle soit, même si ce fut souvent douloureux pour eux. Ils ont donné mission à leurs cinq enfants de continuer ce combat de la connaissance.

2015 a vu une splendide exposition au Musée d’Orsay « Sade. Attaquer le soleil » ; 2016 verra la réouverture du Château de Saumanes, le château de son enfance, de son oncle l’Abbé, biographe de Pétrarque, ami de Voltaire et grand amateur de romans libertins qui étonnèrent tant le jeune Marquis ; 2017, permettra de redécouvrir son immense œuvre épistolaire.

Aujourd’hui c’est une face inconnue du Marquis de Sade qu’il vous est proposé de découvrir. [ndlr : le 15 juin 2016 aura effectivement lieu, à l’Hôtel Drouot, une vente intitulée « Sade, l’autre homme de lettres ».] 


A vous de vivre cette sensation étrange avec les papiers de Sade. Débauche de papier où votre main qui lit serre la main qui écrit !

Car Sade est vivant, toujours vivant !

Sources : Lien vers la vente du 15 juin 2016 / Lien vers le PDF du catalogue de la vente / « vue du palatin de l’aqueduc Claudins et du Colisée » – Jean-Baptiste Tierce

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