Le Marquis de Sade ou le féminisme du trou de balle (et non l’inverse)

À l’occasion de la journée de la femme, de son nom complet la journée internationale des droits des femmes et de son lot interminable de mises au point terminologiques, de désespoir total de la part de femmes à qui l’on sourit en les couvrant de produits Yves Rocher en étant convaincu d’accomplir une bonne action, j’ai décidé de ressortir un thème qui a été celui de mon mémoire de master il y a quelques années maintenant. Pas de linguistique aujourd’hui ; aujourd’hui, un article sur l’auteur le plus infâme que cette terre ait porté, le paradigme humain de la souffrance et de l’horreur, l’incarnation de la violence gratuite, j’ai nommé le divin Marquis, j’ai nommé Donatien Alphonse François, Marquis de Sade.

Un article de NeaterMeeting

Marquis de Sade - Le Marquis de Sade ou le féminisme du trou de balle (et non l'inverse)

Alors pour commencer, Sade, c’est qui ? Eh ben, c’est un aristocrate français né en 1740 et mort en 1815, bien éduqué, qui vouait une passion sans borne pour le sexe, le caca, et tout ce qui était de près ou de loin subversif. Qui a donc passé une bonne partie de sa vie soit en prison, soit interné. Ceci pour des raisons diverses et variées, mais les plus évidentes étant les suivantes :

1. C’était un putain de cinglé.

Non mais vraiment, hein. Si le terme « sadique » est parvenu jusqu’à nos oreilles, c’est que le type a mis la barre très haut. Mais genre, vraiment très haut. Ça, ça a commencé quand il avait 28 ans, où d’un jour à l’autre il a décidé qu’il allait assumer ses fantasmes sexuels les plus chelous. Le premier gros scandale, c’est quand il a proposé de l’argent à une pauvre veuve à qui il arrivait de se prostituer pour pouvoir survivre. Ça se serait limité à ça, il n’y aurait pas eu de grosse vague ; mais à la place, il a attaché la pauvre nana au plumard, l’a fouettée, lui a entaillé la peau au canif et a fait couler de la cire brûlante sur ses plaies tout en la menaçant et en la forçant de blasphémer – thème sur lequel on va revenir plus tard. Sade, qui était censé être condamné à mort, s’en sort plutôt bien puisqu’il écope de 6 mois d’emprisonnement qu’il n’effectuera même pas.

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Après ça, il multiplie les exploits, et se retrouve encore une fois devant la justice un jour où il trouve amusant de faire avaler aux cinq femmes qui allaient partager son lit ce soir-là des pilules à la cantharide dans le but de faire péter celles-ci. Péter dans le sens de flatuler, oui. Ça aura été la goutte d’eau de trop, et celui-ci va commencer à visiter diverses prisons ; en 1984, il rentre à la bastille, et commence à écrire des textes aussi révoltants que dégueulasses, sur lesquels nous allons revenir.

2. C’était un athée comme on n’en fait plus.

Sade se décrivait lui-même « athée jusqu’au fanatisme ». Ce mec, il n’aimait pas les cathos. Et les autres d’ailleurs. Mais genre, vraiment pas. En gros, on serait assez près de la réalité en l’imaginant passer le plus clair de ses journées à insulter Dieu tout en se masturbant au sein de ses excréments. Et bien qu’il n’ait pas l’air d’apprécier les hommes davantage, il a quand même affirmé que Dieu était la seule chose qu’il ne pouvait pas leur pardonner. Vous pouvez bien l’imaginer, un type au XVIIIème siècle qui passe son temps à dire que le fondement de leur organisation morale et sociétale n’existe pas, ça fait un peu tache. Et ça amène à mon troisième point :

3. C’était un philosophe.

Et alors là, oubliez tout de suite les images que vous pouvez avoir d’un Rousseau chouinant dans le parc de son hôtel particulier sur comment les hommes ils sont méchants et comment est-ce qu’il faudrait répartir les richesses parce qu’il souffrait beaucoup trop d’être riche ; Sade c’était plutôt le genre prends-toi ma philosophie dans ta gueule, et si t’es pas d’accord c’est que t’es qu’un crétin de curé. Avant d’écrire des bouquins remplis de viols et de matière fécale, Sade il a tenté de se faire sa place au sein des Lumières. Il a pas vraiment réussi, parce que d’une il était beaucoup trop radical pour l’époque, et de deux… Eh ben il écrivait vachement mal.

Alors ça peut vous surprendre, mais c’est pas moi qui l’ai dit (même si je l’ai pensé), c’est Simone de Beauvoir. Ah, ça vous la coupe, hein ! Eh ouais, SdB, poids lourd du féminisme, débauchée notoire, radicale en bien des points, ne s’est pas contentée de lire Sade, elle lui a consacré un essai. Un essai carrément intitulé « Faut-il brûler Sade ? ». Et là, allez-vous me dire, mais pourquoi diable ? Parce qu’elle avait aussi des trips bizarres avec des instruments de torture et des esclaves sexuels ? Ben non. Enfin, pas vraiment.

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Quand SdB dit que Sade écrit mal, elle parle de ses écrits philosophiques, qui sont chiants à mourir. Le très bon exemple qu’elle cite est « La Philosophie dans le boudoir », qui se résume en gros à de la philosophie de connard pédant parisien accoudé au comptoir d’un Starbucks – pour prendre une image actuelle – le tout entrecoupé de scènes de cul aux participants toujours plus nombreux et toujours plus gâtés par la nature (en dessous de la ceinture, entendons-nous). SdB, elle sait reconnaître de la bonne littérature, et ce qu’elle voit en Sade c’est un type qui a plein d’idées mais qui devrait faire un effort pour les articuler correctement. Mais elle va quand même s’arrêter sur une idée qui est récurrente chez Sade et qui la concerne directement : la libération de la femme.

Oui, les mots sont choisis, et je les maintiens : la libération de la femme. Dans « La Philosophie dans le boudoir », un bouquin qu’il a écrit pendant sa courte période de liberté après que la Révolution l’a libéré, il insère un pamphlet qui résume sa vision de la société républicaine (« Français, encore un effort si vous voulez être républicains »). Il consacre tout un chapitre de celui-ci au traitement des femmes, et aux injustices qui leur sont faites. Vers la fin du machin, il attribue encore un passage aux femmes, que je ne peux m’empêcher de partager, vu comme il est classe :

« Sexe charmant, vous serez libre ; vous jouirez comme les hommes de tous les plaisirs dont la nature vous fait un devoir ; vous ne vous contraindrez sur aucun. La plus divine partie de l’humanité doit-elle donc recevoir des fers de l’autre ? Ah ! brisez-les, la nature le veut ; n’ayez plus d’autre frein que celui de vos penchants, d’autres lois que vos seuls désirs, d’autre morale que celle de la nature ; ne languissez pas plus longtemps dans ces préjugés barbares qui flétrissaient vos charmes et captivaient les élans divins de vos cœurs ; vous êtes libres comme nous, et la carrière des combats de Vénus vous est ouverte comme à nous ; ne redoutez plus d’absurdes reproches ; le pédantisme et la superstition sont anéantis ; on ne vous verra plus rougir de vos charmants écarts ; couronnées de myrtes et de roses, l’estime que nous concevrons pour vous ne sera plus qu’en raison de la plus grande étendue que vous vous serez permis de leur donner. »

Mais… Attendez une minute, là. Nan mais sérieusement, il se fout de la gueule de qui ? C’est le même mec qui torture des nanas pour se branler dans leur sang et qui en rend d’autres malades pour s’amuser à écouter leur pets ? Donatien François machin, c’est pas un peu un gros faux-cul ?

Eh bien, non. Enfin si. Enfin, on n’en a foutrement aucune idée, en fait.

Ce qui s’est passé, quand Sade a été foutu en taule (et il l’avait quand même un peu mérité, faut pas déconner), c’est qu’il a complètement pété les plombs. Avant la prison, il était tout aussi athée et obsédé sexuel, mais c’est vraiment en taule que le type s’est radicalisé ; et à l’époque, il n’y avait pas Manuel Valls pour le déchoir de sa nationalité. Et donc en prison, à la Bastille plus précisément, il commence à écrire des histoires toutes plus ignobles les unes que les autres, dont l’histoire de « Justine » dont il écrira trois versions au total. En gros, Justine c’est une pauvre nana qui n’a pas de chance parce que ses parents meurent comme des cons et elle se retrouve à devoir survivre dans un monde où absolument tout le monde cherche à la violer ou la réduire en esclavage. Et ils ne font pas que chercher, ils le font. Et tout ça est décrit à la première personne par Justine qui n’omet aucun détail scabreux.

Justine passe des années à se faire torturer et violer par toutes les voies imaginables, et malgré ça, demeure une fervente croyante, pieuse, et sacrément conne et naïve.

À côté de ça, Sade a écrit l’histoire de la sœur disparue de Justine, « Juliette », qui elle est tout l’inverse. Elle, elle n’est pas croyante pour un sou et passe son temps à baiser/torturer des hommes et des femmes, autant par plaisir que par intérêt.

En gros, ce que Sade montre, c’est que Justine, qui refuse de coucher avec des hommes pour s’en sortir (opportunité qu’elle rencontre plein de fois dans le roman), s’accroche à sa pureté et sa chasteté pour au final finir enchaînée et violée, tandis que sa sœur utilise son corps et se fait plaisir tout en grimpant les échelons. C’était comme ça que Sade voulait en gros dire qu’on a toujours empêché les femmes de jouir de leur propre corps et qu’il fallait qu’elles acceptent d’utiliser leur corps pour arriver à leurs fins. En gros, la promotion canapé, c’est un truc vachement noble aux yeux du Marquis.

Si vous avez lu Sade, vous savez que les descriptions des horreurs perpétrées sur Justine tout au long du bouquin ont plus l’air de relever de fantasmes d’un dégénéré que d’une leçon sur le droit à disposer de son propre corps ; et vous n’avez probablement pas tort.

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Je le répète, Sade était complètement cinglé. Toute sa vie il la passait à faire l’apologie de trucs qui nous paraissent dégénérés (inceste, scatophilie, pédophilie, etc.). Le truc c’est qu’il avait compris, en déformant pas mal la pensée rabelaisienne, que ce qui était interdit était ce qui était le plus agréable. Après, lui allait carrément loin. Cela dit, en étudiant et en analysant la vie et les écrits de Sade avec une patience et une précision qui forcent le respect, Simone de Beauvoir en avait conclu qu’à part le coup de la veuve fouettée et torturée, la vie sexuelle de Sade était au final pas si dégénérée que ça ; il faisait pas mal de partouzes, baisait avec autant de mecs que de filles, mais rien à voir avec les orgies dans le sang et dans le caca qu’il décrit dans « Les 120 journées de Sodome », par exemple. Ce qu’elle note cependant, c’est que sa sexualité est essentiellement anale.

Sade, c’était un fan du trou du balle. Pour une raison pragmatique qui est que pour baiser un mec ou l’inverse, c’est quand même bien pratique, et pour une raison plus philosophique : il méprisait la reproduction (certains disent que c’est parce qu’il détestait son père, mais la psychanalyse à deux siècles et demi d’écart c’est comme proposer du feu à un Tibétain qui s’immole, ce n’est pas très pertinent). Mais surtout, il méprisait le rôle reproductif des femmes. Lui, il aimait tellement baiser qu’il voulait que tout le monde baise, tout le temps, autant que possible, en tous lieux, par tous les temps. Et le fait que le vagin d’une femme serve à la reproduction le repoussait vachement. Il suffit de voir le traitement réservé aux bébés dans son œuvre.

Donc on résume : Sade, athée, obsédé sexuel, obsédé par le vice, et… féministe. Merde.

Il n’y a pas que Simone de Beauvoir qui s’est intéressée à Sade. Il y a également une autre nana, une féministe britannique qui s’appelle Angela Carter. Et cette nana, elle a dit une fois dans une interview qu’elle avait écrit « un roman sadien ».

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Non, pas sadique, bien sadien. Ce roman, il s’appelle « The Passion of New Eve », et je vous invite à le lire, parce que c’est génial. Mais bref ; cette meuf, elle a aussi passé pas mal de temps au Japon ou elle a exploré des visions de la sexualité qui lui paraissaient bien chelou : elle venait d’un pays où tout le monde était coincé comme pas deux, s’est retrouvée en France d’après 68 où tout le monde baisait dans tous les coins, puis a fini par se marier à un Japonais et à écrire sur la baise au Japon.

Pourquoi je parle de Carter, eh bien parce que cette auteure est une source d’inspiration pour ce que certains appellent les féministes pro-sexe ; un mouvement féministe né dans les années 80 qui considère (grossièrement) que c’est via le sexe le plus abondant possible qu’on abolira les tabous et préjugés et qu’on arrivera à l’égalité des sexes, ou en d’autres termes, que le sexe doit être utilisé comme outil politique. Et cette idée du sexe comme instrument politique, eh ben… C’est un truc que Sade avait imaginé deux siècles auparavant.

Carter elle-même décrivait la pensée sadienne vis-à-vis des femmes avec une expression qui est brillante mais malheureusement impossible à traduire en français : « powered by their enormous and hitherto untapped sexual energy they (les femmes) will then be able to fuck their way into history and, in doing so, change it. »

Les idées révolutionnaires de Sade au sujet de l’égalité des sexes ont été oubliées pendant deux siècles à cause de la censure, et aussi simplement à cause du fait que Sade était seulement considéré comme un dégénéré dont les écrits ne méritaient pas un moment d’attention. Au final, un type qui souhaitait (même si on peut en critiquer les méthodes) libérer les femmes de l’oppression sociale et religieuse s’est retrouvé résumé à un adjectif utilisé quotidiennement par des tas de gens qui en ont oublié l’origine ; parfois même, ironiquement, pour décrire les actions d’un homme se défoulant sur sa femme. Si lui était encore vivant, et se voyait résumé à cela, je pense que c’est lui qui trouverait ça sadique.

Sources : L’article de NeaterMeeting pour le blog « Samedi soir sans Internet » / Photos / Photo – Simone de beauvoir / Photo – Angela Carter

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