Que le bon dieu la reçoive dans son paradis !

Le 29 octobre 1763, quelques mois après son mariage, le jeune Marquis de Sade est incarcéré au donjon de Vincennes par ordre du roi pour « débauche outrée en petite maison, blasphème et profanation de l’image du Christ » ; il s’agit là de son premier contact avec la prison où il passera près de trente ans de sa vie.

Une dizaine de jours plus tard, il est libéré grâce à l’intervention de son père. Sur ordre du roi, il est cependant assigné à résidence en Normandie au château d’Echauffour… dans la demeure de sa belle-famille.

Cinq mois plus tard, en avril, Sade reçoit l’autorisation de revenir à Paris pour gérer ses affaires. Ce n’est qu’en septembre de la même année que le roi annulera définitivement son assignation à résidence.

Cette chronologie est importante pour ce qui va suivre…

Marquis de Sade - Que le bon dieu la reçoive dans son paradis !

Le 21 janvier 1764, Sade a donc 23 ans… il est retenu dans le château d’Echauffour et il est marié contre son gré, depuis mai 1763, à Renée Pélagie de Montreuil qu’il n’aime pas. Une fois sur place, il n’a vraisemblablement pas perdu de temps à compter les cailloux car dans une lettre de sa belle-mère, datant du même jour, celle-ci nous apprend que sa fille est « grosse de trois mois ».

La Marquise de Sade est donc enceinte du premier enfant du Marquis. À Echauffour les jours passent, ainsi que les mois. La grossesse de Renée Pélagie se passe bien, elle a des maux de cœur mais rien de méchant. Pourtant, mise à part la lettre de sa mère — si fière de devenir grand-mère grâce à un marquis dont la famille était apparentée aux Condé — aucune ne viendra détailler la grossesse de Renée Pélagie ; pas même une pour annoncer la naissance de l’enfant. Que s’est-il passé pour qu’un tel noir s’installe ? La correspondance a-t-elle fini au feu ?

C’est le curé de la paroisse de Bry-sur-Marne de cette époque qui nous apprend que la Marquise a accouché d’une fille le 15 août 1764 et que cette dernière fut ondoyée le 17. Malheureusement, le bonhomme nous apprend également que la petite demoiselle fut inhumée dans son cimetière deux mois et demi après sa naissance.

« Le 22 octobre 1764 a été inhumé dans le chœur de cette paroisse par nous curé soussigné le corps d’une fille décédée d’hier chez François Rossignol jardinier de la maison de Mr. Damond, sise dans cette paroisse, âgée de deux mois et treize jours laquelle a été ondoyée par Mr. Levasseur accoucheur par permission de l’archevêché le 17 août dernier et née le 15 du même mois d’août et est fille de Messire Louis Donatien Aldonse de Sade, Marquis de Sade lieutenant général de la province de Bresse et de Pélagie Cordier de Montreuil ses père et mère de la paroisse de la Madeleine de la ville l’évêque rue neuve du Luxembourg l’inhumation faite en présence de Joseph Teissier valet de chambre du père de l’enfant et de François Rossignol père nourrissier de l’enfant qui ont signé avec nous. »

Ce bref avis d’inhumation a le mérite d’éclaircir et de mettre en lumière une lettre du Marquis adressée à son oncle peu de temps après cet événement. Récemment investi des terres et seigneuries de Lacoste, il écrit à ce dernier pour lui demander qu’il s’occupe de diverses affaires dans sa nouvelle propriété. Le message serait basique, voire même banal, si, au début de celui-ci, Sade, dans une langue somptueuse, n’annonçait pas la mort de son premier enfant.

« Le ciel n’a pas voulu me laisser jouir longtemps du bonheur d’être père, mon cher oncle, il vient de m’enlever ma petite fille. Quoique la malheureuse enfant n’ait pas assez vécu pour laisser des regrets bien vifs, la perte d’un premier est toujours fort affligeante. […] »

Marquis de Sade - Que la bon dieu le reçoive dans son paradis !

On peut aussi se demander pourquoi Sade n’était pas présent à l’enterrement de sa propre fille. Souvenez-vous de la chronologie. En avril 1764, le Marquis avait reçu l’autorisation de quitter Echauffour et de résider à Paris pour ses affaires. Il y était, semble-t-il, en été ; il a donc assurément été au chevet de sa femme après l’accouchement, mais il ne pouvait pas sortir de Paris… du moins pas encore, car il faudra attendre le mois de septembre pour que le roi décide d’annuler définitivement son assignation à résidence. En octobre Sade est donc libre d’aller où il veut… y compris à Bry-sur-Marne, commune voisine de Vincennes. Est-il au courant de la décision du roi ? Avait-il peur de croiser, sur la route de Bry-sur-Marne, le donjon de Vincennes ? Quant à sa femme Renée Pélagie, où est-elle ? Deux mois après sa naissance, il paraîtrait logique qu’elle soit avec son bébé… et qu’elle assiste à la mise en terre de sa fille !

Eh bien non ! Pour autant que nous sachions, et aussi étrange que cela puisse paraître, les parents des nourrissons décédés n’assistaient que très rarement aux obsèques de leurs enfants. C’est donc le valet de chambre Joseph Teissier, accompagné du père nourricier François Rossignol, qui remplaça le Marquis et sa femme à la signature du registre.

Le meilleur, dans cette histoire, fut que la pauvre petite n’avait toujours pas de prénom quand elle mourut. Etait-ce une coutume curieuse voulant que l’enfant reçoive son prénom lors du baptême ?… et tant pis s’il partait avant l’heure, Dieu, ou autre chose, serait le rattraper là-haut. Sade voulait mourir sans épitaphe, sa fille l’aura précédé dans ses dernières volontés… Paie à son âme !

S’il vous vient l’idée de vouloir lui rendre visite, n’hésitez pas, car l’ancien cimetière de Bry-sur-Marne existe encore : il se situe derrière les locaux de l’Institut National de l’Audiovisuel, non loin de la gare de RER. Prévenez ensuite Paulette pour qu’elle aille mettre une croix sur sa tombe !

Sources : Le Château de Vincennes – Collection Pierre Leroy / Cimetière du Père Lachaise – Anonyme / Jeux interdits – René Clément

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