La sandale de Sade
L’été 1789 est une époque bénie pour les assassins. À dix-huit ans, Laure de Sade, fille du Divin Marquis, tente de survivre aux bouleversements qui agitent Paris. Allant d’intrigues en intrigues — à la manière d’un Sherlock Holmes en jupons qui lutterait contre Jack l’Éventreur — Laure devient, bien malgré elle, une héroïne sous la Révolution.
Ce rapide « pitch » est celui que l’on trouve sur la quatrième de couverture du dernier livre de Frédéric Lenormand : « Qui en veut au Marquis de Sade ? ». Ce roman est le premier d’une série intitulée « Les enquêtes de Mlle de Sade ». Il est paru aux éditions « J’ai lu » en novembre 2015, exclusivement au format poche. L’auteur, grand spécialiste du XVIIIe siècle, s’attache ici à faire de Laure de Sade une héroïne romanesque. Avec le père qu’elle a, il faut dire qu’il y a de la matière. L’histoire débute, peu avant le 14 juillet 1789, alors que le Marquis est prisonnier à la Bastille.
Avec son esprit et son humour habituel, l’auteur nous livre ici un récit flamboyant. Il n’hésite pas à mettre en confrontation la perversité universelle du père et la naïveté désarmante de sa fille, ce qui ne manque pas de créer des situations cocasses. C’est une vraie lecture-plaisir, qui dépayse tout en amusant, et qui devrait séduire les amateurs de romans historiques.
L’histoire, racontée par Laure elle-même, se déroule à la manière d’un journal intime. À cet instant de l’histoire, la fille du Marquis a obtenu qu’il puisse avoir des visites. Sa mère, accompagnée de sa fille arrivent donc aux portes de la Bastille où est emprisonné le célèbre écrivain ; nous sommes le 2 juillet 1789 et Laure nous dit que…
C’était une chaude et belle journée. Une journée où les têtes s’échauffent. Une journée à aller se promener à l’air libre. […].
Comme nous approchions de la forteresse avec nos paniers bourrés de victuailles et autres petits cadeaux, nous avons entendu des hurlements qui tombaient du ciel. En plissant les yeux, j’ai aperçu un cornet en papier qui émergeait à travers les barreaux d’une fenêtre, en haut de la tour Liberté. Père ameutait la populace de toute la force de ses poumons !
— Peuple de Paris ! On égorge les prisonniers de la Bastille ! Aux armes ! Venez sauver les défenseurs du peuple injustement emprisonnés !
Quelle imagination, mon père ! J’ai cru que Mère allait avoir un malaise.
— Révoltez-vous ! Attaquez la prison ! Défendez vos droits ! On nous tue, on nous massacre !
Bien. Ça valait la peine que je me démène pour faire rétablir le droit de visite. Il n’avait pas du tout l’air d’être massacré, il semblait en pleine forme, au contraire. Le temps que les gardes se rendent compte de ce qui arrivait, il est bien resté dix minutes à crier au meurtre. La rue était noire de gens immobiles qui l’écoutaient. Nous avons vu des mains s’accrocher aux barreaux, le cornet disparaître, et la voix s’est tue.
Après qu’il eut tenté d’ameuter les passants à l’aide d’un porte-voix, sa présence devint indésirable à la Bastille. Sade fut emmené à Charenton dans la nuit du 3 au 4 juillet 1789, « nu comme un ver » selon sa version, c’est-à-dire en chemise, et déposé chez les frères de la Charité qui gardaient les fous. Il ne s’écoule alors pas beaucoup de temps avant que Laure ne reçoive une lettre de son père lui demandant de l’aider à s’évader du lieu.
Nous retrouvons donc Laure désespérée de constater que son père, à peine évadé de l’hospice, n’a pas perdu une minute pour aller rendre visite à la Tante Marthe, rue Trousse-Putain… actuelle rue Beaubourg. Là-bas, elle constate avec horreur que celui-ci boit du champagne et joue avec les fesses des filles de la maquerelle. Hélas ! Laure n’est pas encore remise de ses émotions, et des choses vu dans la maison de passe, que l’histoire la rattrape à l’extérieur de l’établissement… un cri a retenti à l’autre bout de la rue, nous dit-elle.
— Ils sont là !
Des hommes couraient vers nous, vêtus de capes et coiffés de chapeaux à larges bords comme en portent les malfrats qui ne veulent pas être reconnus. […] Plus ils approchaient, plus il me semblait reconnaître certaines trognes déplaisantes d’ours et de furet.
Mon père ne s’est pas démonté, l’alcool aidait.
— Je vais arranger ça. Les petites gens, les réprouvés, les opprimés, ça me connaît. Entre victimes de la société, on se comprend, on se soutient.
Il s’est planté devant eux et a levé les bras pour les admonester.
— Peuple de Paris ! Vous avez raison de vous révolter ! Le vent de la démocratie souffle sur le royaume de France ! À bas les tyrans !
Je l’ai tiré par son habit.
— Père, ce ne sont pas des révoltés […].
— Ah. Nouvelle tactique, alors.
Il a fait volte-face et s’est enfui dans la direction opposée. [Je] lui [ai] emboîté le pas. L’obscurité nous donnait une chance de semer nos poursuivants, mais hélas certains d’entre eux couraient plus vite que […] moi, et surtout que mon père, qui avait bu, qui a de la bedaine et qui sortait de douze années coincé dans une petite pièce. Il s’essoufflait.
— Brettons ! a-t-il dit en s’arrêtant pour se mettre en garde avec [sa] canne […]
Nous avons bretté. […]
Il est important ici de faire un bref saut en arrière. Sade quelques jours plus tôt, sachant sa fille en danger de mort, lui a indiqué l’adresse d’un maître d’armes qui l’initiera à l’escrime en lui apprenant comment réagir face à des gens louches. Durant cette leçon, on lui révélera le secret de sa famille dans l’art de l’autodéfense : la fameuse « botte de Sade ». À la fin du cours, Laure recevra du maître une ombrelle d’un genre spécial car ayant la particularité de cacher une épée dans son manche.
[…] j’ai dégainé mon ombrelle, nous dit-elle.
Nos adversaires ont tiré les poignards pendus à leur ceinture. J’ai compris toute l’utilité de ces séances d’entraînement dans la salle d’armes. C’était le moment de pratiquer la « botte de Sade », cette passe qui permet de toucher au bas du ventre, une tactique tout à fait interdite aux gentilshommes qui ont le souci de leur honneur. Dans l’obscurité, je ne suis parvenue qu’à toucher mon adversaire à un endroit encore pire, il s’était retourné au mauvais moment.
— Je constate avec plaisir que tu as suivi tes leçons d’escrime, a dit mon père.
— J’ai modifié la botte de Sade, père.
— Oui, je vois, tu en as fait une sandale.
Après cette folle évasion, de retour à Charenton, le Marquis de Sade demanda à sa femme d’aller à la Bastille chercher ses manuscrits restés dans sa cellule. Pour une raison inconnue, Pélagie ajourna jusqu’au matin du 14 juillet pour aller les reprendre. Malheureusement, la chute de la forteresse entraînant le pillage de ce qui s’y trouvait, la Marquise ne retrouva pas les précieux écrits. Libéré de Charenton au bout de huit mois, Sade ne retrouva ni manuscrits, ni brouillons, ni rien de ce qui lui avait appartenu. Il écrivit à ses correspondants que la perte de ses ouvrages lui faisait verser « des larmes de sang ».
Voilà j’espère, qu’après ce bref résumé, ce roman vous plaira autant qu’à la personne m’en ayant fait la publicité.
Détails sur le produit :
Poche : 285 pages
Editions : J’ai lu (25 novembre 2015)
ISBN-10: 2290098558
ISBN-13: 978-2290098554
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Sources : Illustration tirée de « Petit Miracle » – Mangin / Portrait imaginaire du Marquis de Sade – Man Ray / Merci à Julie B. pour sa lecture du passage de la sandale.
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