9 — Raisonnable ou non, tout s’en mêle…

Ca y est l’été touche à sa fin, du moins la période estivale, celle des vacances. Même si il fait encore bon, il est indéniable que les jupes ce sont rallongées et que le teint des gens commence à redevenir pale. Les journées, autrefois interminable et n’en finissant pas, sont aujourd’hui plus courtes, le Soleil moins haut dans le ciel et les nuits plus longues ; toutefois, ne désepérons pas, l’été n’est pas encore terminé et je compte sur la bienveillance de l’astre Roi pour nous prêter ses rayons quelque temps encore.

Durant tout cet été, je vous est parlé de poésie, de dizain pour être précis. Le dizain est une strophe ou un poème de dix vers. Dans la poésie française, cette forme a souvent été utilisée au XVe siècle et au XVIe siècle, notamment par Maurice Scève mais aussi par Joachim du Bellay. Le dizain comme forme de poème a ensuite été délaissé jusqu’à ce que Sade le reprenne dans son « Histoire de Juilette » en paraphrasant le célèbre poème d’Alexis Piron ; pastiche qu’il attribue au cardinal de Bernis.

« L’Histoire de Juliette ou les Prospérités du vice », roman écrit et publié par le Marquis de Sade, est le second volet d’une autre œuvre : la fameuse histoire de « Justine ou les Malheurs de la vertu »… Justine étant la soeur de Juliette. Justine, martyr de l’Histoire et Juliette, incarnation de l’Histoire, mais toutes deux témoins à charge de l’Histoire. Le roman suit Juliette de l’âge de treize ans à environ trente ans. Juliette commence le récit de sa vie par son éducation au couvent de Panthemont où la supérieure, Madame Delbène, lui inculque les premiers principes de la luxure et de l’immoralité. La publication de ces deux ouvrages licencieux a valu au Marquis de Sade d’être arrêté sur ordre de Napoléon et d’être incarcéré sans procès à l’asile de Charenton jusqu’à la fin de ses jours.

Marquis de Sade - 9 — Raisonnable ou non, tout s’en mêle...

Mais revenons à nos moutons… ou plutôt au pastiche du célèbre poème de Piron : « l’Ode à Priape » ! Ces dernières semaines, pour raison de pause éditoriale, je vous est distillé la fameuse ode par petit bout, il est maintenant temps de la voir dans son ensemble.

Bourguignon de naissance, Alexis Piron composa cette ode aux alentours de 1710, vers l’âge de vingt ans. L’immoralité fameuse de ce texte malgré un vrai talent, le poursuivit toute sa vie durant ; elle lui fut à la fois un titre d’une gloire quelque peu sulfureuse, en même temps qu’un boulet qu’il dut traîner et qui finit par lui fermer les portes de l’Académie française en 1753.

Comprenant le personnage et le texte de celui-ci, il n’en fallut pas plus à Sade pour inclure dans son œuvre l’illustre poème. C’est donc dans « l’Histoire de Juliette » sous forme de pastiche que ressurgit Piron quelque vingt-cinq ans après sa mort, remettant ainsi le dizain au goût du jour.

Dans le texte de Sade, cela donne ça…

Foutre des Saints et de la Vierge,
Foutre des Anges et de Dieu !
Sur eux tous je branle ma verge,
Lorsque je veux la mettre en feu…
C’est toi que j’invoque à mon aide,
Toi qui dans les culs, d’un trait raide,
Lanças le foutre à gros bouillons !
Du Chaufour, soutiens mon haleine,
Et pour un instant, à ma veine
Prête l’ardeur de tes couillons9.

Que tout bande, que tout s’embrase ;
Accourez, putains et gitons :
Pour exciter ma vive extase,
Montrez-moi vos culs frais et ronds,
Offrez vos fesses arrondies,
Vos cuisses fermes et bondies,
Vos engins roides et charnus,
Vos anus tout remplis de crottes ;
Mais, surtout, déguisez les mottes :
Je n’aime à foutre que des culs.

Fixez-vous, charmantes images,
Reproduisez-vous sous mes yeux ;
Soyez l’objet de mes hommages,
Mes législateurs et mes Dieux !
Qu’à Giton l’on élève un temple
Où jour et nuit l’on vous contemple,
En adoptant vos douces mœurs.
La merde y servira d’offrandes,
Les gringuenaudes de guirlandes,
Les vits de sacrificateurs.

Homme, baleine, dromadaire,
Tout, jusqu’à l’infâme Jésus,
Dans les cieux, sous l’eau, sur la terre,
Tout nous dit que l’on fout des culs ;
Raisonnable ou non, tout s’en mêle,
En tous lieux le cul nous appelle,
Le cul met tous les vits en rut,
Le cul, du bonheur est la voie,
Dans le cul gît toute la joie,
Mais hors du cul, point de salut.

Dévots, que l’enfer vous retienne :
Pour vous seuls sont faites ses lois ;
Mais leur faible et frivole chaîne
N’a sur nos esprits aucun poids.
Aux rives du Jourdain paisible,
Du fils de Dieu la voix horrible
Tâche en vain de parler au cœur :
Un cul paraît10, passe-t-il outre ?
Non, je vois bander mon jean-foutre.
Et Dieu n’est plus qu’un enculeur.

Au giron de la sainte Église,
Sur l’autel même où Dieu se fait,
Tous les matins je sodomise
D’un garçon le cul rondelet.
Mes chers amis, que l’on se trompe
Si de la catholique pompe
On peut me soupçonner jaloux.
Abbés, prélats, vivez au large :
Quand j’encule et que je décharge,
J ai bien plus de plaisirs que vous.

D’enculeurs l’histoire fourmille,
On en rencontre à tout moment.
Borgia, de sa propre fille,
Lime à plaisir le cul charmant ;
Dieu le Père encule Marie ;
Le Saint-Esprit fout Zacharie :
Ils ne foutent tous qu’à l’envers.
Et c’est sur un trône de fesses
Qu’avec ses superbes promesses,
Dieu se moque de l’univers.

Saint Xavier aussi, ce grand sage
Dont on vante l’esprit divin,
Saint Xavier vomit peste et rage
Contre le sexe féminin.
Mais le grave et charmant apôtre
S’en dédommagea comme un autre.
Interprétons mieux ses leçons :
Si, de colère, un con l’irrite,
C’est que le cul d’un jésuite
Vaut à ses yeux cent mille cons.

Près de là, voyez saint Antoine
Dans le cul de son cher pourceau,
En dictant les règles du moine11,
Introduire un vit assez beau.
A nul danger il ne succombe ;
L’éclair brille, la foudre tombe,
Son vit est toujours droit et long.
Et le coquin, dans Dieu le Père
Mettrait, je crois, sa verge altière
Venant de foutre son cochon.

Cependant Jésus dans l’Olympe,
Sodomisant son cher papa,
Veut que saint Eustache le grimpe,
En baisant le cul d’Agrippa12.
Et le jean-foutre, à Madeleine,
Pendant ce temps, donne la peine
De lui chatouiller les couillons.
Amis, jouons les mêmes farces :
N’ayant pas de saintes pour garces,
Enculons au moins des gitons.

Ô Lucifer ! toi que j’adore,
Toi qui fais briller mon esprit,
Si chez toi l’on foutait encore,
Dans ton cul je mettrais mon vit.
Mais puisque, par un sort barbare,
L’on ne bande plus au Ténare,
Je veux y voler dans un cul.
Là, mon plus grand tourment, sans doute,
Sera de voir qu’un démon foute,
Et que mon cul n’est point foutu.

Accable-moi donc d’infortunes,
Foutu Dieu qui me fais horreur ;
Ce n’est qu’à des âmes communes
A qui tu peux foutre malheur :
Pour moi je nargue ton audace.
Que dans un cul je foutimasse,
Je me ris de ton vain effort ;
J’en fais autant des lois de l’homme :
Le vrai sectateur de Sodome
Se fout et des Dieux et du sort.

À la fin de la verve de l’histrion Bernis, les applaudissements fusèrent. Juliette ajoutant que « cette ode fut trouvée bien plus forte que celle de Piron [et] unanimement accusé de poltronnerie pour avoir niché là les Dieux de la fable, quand il n’aurait dû ridiculiser que ceux du christianisme. »

Voici l’original de Piron…

Foutre des neuf Grâces du Pinde,
Foutre de l’amant de Daphné,
Dont le flasque vit ne se guinde
Qu’à force d’être patiné :
C’est toi que j’invoque à mon aide,
Toi qui, dans les cons, d’un vit raide
Lance le foutre à gros bouillons,
Priape ! soutiens mon haleine,
Et pour un moment dans ma veine
Porte le feu de tes couillons.

Que tout bande !! que tout s’embrase
Accourez, putains et ribauds !
Que vois-je ? où suis-je ? ô douce extase !
Les cieux n’ont point d’objets si beaux :
Des couilles en bloc arrondies,
Des cuisses fermes et bondies,
Des bataillons de vits bandés,
Des culs ronds, sans poils et sans crottes,
Des cons, des tetons et des mottes,
D’un torrent de foutre inondés.

Restez, adorables images !
Restez à jamais sous mes yeux !
Soyez l’objet de mes hommages,
Mes législateurs et mes dieux.
Qu’à Priape, on élève un temple
Où jour et nuit l’on vous contemple,
Au gré des vigoureux fouteurs :
Le foutre y servira d’offrandes,
Les poils de couilles, de guirlandes,
Les vits, de sacrificateurs.

De fouteurs, la fable fourmille :
Le Soleil fout Leucothoé,
Cynire fout sa propre fille,
Un taureau fout Pasiphaé ;
Pygmalion fout sa statue,
Le brave Ixion fout la nue ;
On ne voit que foutre couler :
Le beau Narcisse pâle et blême,
Brûlant de se foutre lui-même,
Meurt en tachant de s’enculer.

« Socrate, — direz-vous, — ce sage,
Dont on vante l’esprit divin ;
Socrate a vomi peste et rage
Contre le sexe féminin ; »
Mais pour cela le bon apôtr,
N’en a pas moins foutu qu’un autre ;
Interprétons mieux ses leçons :
Contre le sexe il persuade ;
Mais sans le cul d’Alcibiade,
Il n’eût pas tant médit des cons.

Mais voyez ce brave cynique,
Qu’un bougre a mis au rang des chiens,
Se branler gravement la pique
À la barbe des Athéniens :
Rien ne l’émeut, rien ne l’étonne ;
L’éclair brille, Jupiter tonne,
Son vit n’en est pas démonté ;
Contre le ciel sa tête altière,
Au bout d’une courte carrière,
Décharge avec tranquillité.

Cependant Jupin dans l’Olympe,
Perce des culs, bourre des cons ;
Et Neptune au fond des eaux, grimpe
Nymphes, syrènes et tritons ;
L’ardent fouteur de Proserpine
Semble dans sa couille divine
Avoir tout le feu des enfers.
Amis, jouons les mêmes farces ;
Foutons, tant que le con des garces,
Ne nous foute l’âme à l’envers.

Tysiphone, Alecto, Mégère,
Si l’on foutait encore chez vous,
Vous, Parques, Caron et Cerbère,
De mon vit, vous tâteriez tous.
Mais puisque par un sort barbare,
On ne bande plus au Ténare,
Je veux y descendre en foutant ;
Là, mon plus grand tourment sans doute
Sera de voir que Pluton foute,
Et de n’en pouvoir faire autant.

Rangs, dignités, honneurs ?… foutaise !
Et toi, Crésus, tout le premier,
Tu ne vaux pas, ne t’en déplaise,
Yrus qui fout sur un fumier.
Le sage fut un bougre, en Grèce,
Et la sagesse une bougresse ;
Exemple qu’à Rome on suivit.
On y vit plus d’une matrone,
Préférant le bordel au trône,
Lâcher un sceptre pur un vit.

Quelle importante raison brouille
Achille avec Agamemnon ?
L’intérêt sacré de la couille ;
Briséis… une garce… un con !
Sur le fier amour de la gloire,
L’amour du foutre a la victoire,
Il traîne tout après son char.
Cette puissance à qui tout cède,
Devant le vit de Nicomède,
Fait tourner le cul à César.

Que l’or, que l’honneur vous chatouille,
Sots avares, vains conquérants ;
Vivent les plaisirs de la couille !
Et foutre des biens et des rangs !
Achille, aux rives du Scamandre
Ravage tout, met tout en cendre,
Ce n’est que feu, que sang, qu’horreur
Un con paraît : passe-t-il outre ?
Non, je vois bander mon jean-foutre ;
Ce héros n’est plus qu’un fouteur.

Jeunesse, au bordel aguerrie,
Ayez toujours le vit au con ;
Qu’on foute, l’on sert sa patrie,
Qu’on soit chaste, à quoi lui sert-on
Il fallait un trésor immense
Pour pouvoir de leur décadence
Relever les murs des Thébains :
Du gain de son con faisant offre,
Phryné le trouve dans son coffre !
Que servait Lucrèce aux Romains ?

Tout se répare et se succède,
Par ce plaisir qu’on nomme abus :
L’homme, l’oiseau, le quadrupède,
Sans ce plaisir, ne seraient plus.
Ainsi l’on fout par tout le monde
Le foutre est la source féconde
Qui rend l’univers éternel ;
Et ce beau tout, que l’on admire,
Ce vaste univers, à vrai dire,
N’est qu’un noble et vaste bordel.

Aigle, baleine, dromadaire,
Insecte, animal, homme, tout,
Dans les cieux, sous l’eau, sur la terre,
Tout nous annonce que l’on fout :
Le foutre tombe comme grêle ;
Raisonnable ou non, tout s’en mêle,
Le con met tous les vits en ruts :
Le con du bonheur est la voie,
Dans le con gît toute la joie,
Mais hors le con point de salut.

Quoique plus gueux qu’un rat d’église,
Pourvu que mes couillons soient chauds.
Et que le poil de mon cul frise,
Je me fous du reste en repos.
Grands de terre l’on se trompe,
Si l’on croit que de votre pompe,
Jamais je puisse être jaloux :
Faites grand bruit, vivez au large ;
Quand j’enconne et que je décharge,
Ai-je moins de plaisirs que vous ?

Redouble donc tes infortunes,
Sort, foutu sort, plein de rigueur ;
Ce n’est qu’à des âmes communes
Que tu pourrais foutre malheur ;
Mais la mienne que rien n’alarme,
Plus ferme que le vit d’un carme,
Rit des maux présents et passés.
Qu’on me méprise et me déteste,
Que m’importe ? mon vit me reste ;
Je bande, je fous… c’est assez.

Dans le roman du Marquis, l’histoire est agrémentée de jolies images censées illustrer les propos de Juliette. Chaque semaine, depuis le début du mois de juillet, afin d’attiser votre œil lubrique, vous avez pu découvrir — ou redécouvrir — une des gravures attribuées à Claude Bornet présente dans la version de « l’Histoire de Juliette » datant de 1797 mais colorisées en 1870 ; les voici toutes d’un seul coup, ne me remerciez pas… par contre cachez les enfants !

Marquis de Sade - 9 — Raisonnable ou non, tout s’en mêle...

Marquis de Sade - 9 — Raisonnable ou non, tout s’en mêle...

Marquis de Sade - 9 — Raisonnable ou non, tout s’en mêle...

Marquis de Sade - 9 — Raisonnable ou non, tout s’en mêle...

Marquis de Sade - 9 — Raisonnable ou non, tout s’en mêle...

Marquis de Sade - 9 — Raisonnable ou non, tout s’en mêle...

Marquis de Sade - 9 — Raisonnable ou non, tout s’en mêle...

Marquis de Sade - 9 — Raisonnable ou non, tout s’en mêle...

Cet été, vous sachant au calme, loin des tourments habituels, et vous sentant la plume facile, je vous ai demandé de faire — ou non — un petit exercice (une sorte de devoir de vacances en quelque sorte). L’exercice, vous l’avez deviné, était d’écrire un dizain sur le thème de Juliette ou, si l’inspiration vous manque, un épigramme sur Sade en général. Une fois votre œuvre créée, je vous ai demandé de me l’envoyer, en la postant sur la page Facebook du Carnet du Marquis de Sade (la page n’est accessible qu’aux personnes inscrites sur Facebook et ayant plus de 18 ans). Le meilleur dizain ou épigramme étant repris dans un article du blog… Voici le vainqueur de ce petit jeu, bravo à lui/elle.

<<>>

Le mot de la fin à Piron… qui nous sert ici sa propre épitaphe.

Ci-gît Piron
qui ne fut rien,
Pas même académicien.

Détails sur le produit :
Nom : Histoire de Juliette ou les prospérités du vice.
ISBN-13: 978-1502722430

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Sources : Photos – Anonyme & Claude Bornet

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