Le Marquis solaire d’Auteuil

Tout tient en un visage, deux personnages, un mot. Dans la clinique asile de Picpus où les aristocrates de 1794 protègent leur peau, un homme en rouge arrive, venu d’une autre prison. On se présente : Baron de…, Comte de…, Vicomte de… La veste écarlate ne prononce qu’un mot : « Sade ». Le Vicomte de Lancris dit « Je sais » et plonge son nez dans un potage payé à prix d’or, or qui sauvera sa tête, un instant, puisque la Terreur pratique le grand élagage des arbres généalogiques de la noblesse.

« Sade », le mot est dit sans fioritures, sans marquis, sans courtoisie, il est asséné, et c’est le titre même du film de Benoît Jacquot. Ce Sade a un visage, or on ne connaît nul portrait véritable du marquis. Ce visage est celui de Daniel Auteuil. Et l’on verra tout au long du film Auteuil jouer Sade, redoutable performance.

On a dit deux personnages. Dans la distribution (remarquable), une silhouette surgit, blonde, celle d’Isild Le Besco, une (très) jeune actrice remarquée dans « La Puce », moyen-métrage d’Emmanuelle Bercot, ou dans « Coquillettes », court-métrage de Joséphine Flasseur. Une présence et une grâce. Qui tient fort bien face à Auteuil et lui sert de pendant. Leur duo, affrontement, séduction mutuelle, est la colonne qui soutient l’édifice du film. Il octroie un côté humain à celui qui ne possède que son nom et n’existe que par lui. La blondeur est la liberté qu’il veut mettre au jour, lui qui se veut homme libre ; libre de renier ses oeuvres non signées, par prudence. Libre d’avoir été secrétaire à la section des Piques, à Paris, et de rester aristocrate. Libre de passer trente-sept ans de sa vie en prison. De n’avoir pour liberté que sa plume, qu’il trempe dans les plus sombres abîmes. Ici, dans un lieu clos de murs, le Sade d’Auteuil est solaire.

Si la cruauté rôde, elle vient des dialogues ciselés dans la belle langue qui fut surtout celle du cruel Marivaux. Volonté évidente de montrer, à travers un écrivain pourchassé, la splendeur libertine du français de l’époque. Langue dans laquelle aussi Robespierre, vertueux et terrible, déclame des discours si affûtés qu’ils tranchent les têtes. S’ouvrent alors dans le parc de Picpus des charniers. L’aspect sadien du film tient à cette arrivée de l’ultime supplice dans un enclos somme toute protégé, où Sade dit être bien, dans cette « société choisie, avec d’aimables femmes ». Il tient aussi à la volonté de Sade-Auteuil de mettre en scène une pièce et de tromper ainsi la réalité révolutionnaire, donnée en spectacle via ces trous comblés de cadavres et de chaux vive, par une fiction montée en plein soleil sur des tréteaux de fortune, avec des hommes et des femmes qui ont échappé à l’extermination. Et qui seront sauvés par la chute soudaine de l’Incorruptible. La fiction montée par Sade a vaincu la Terreur. Les portes s’ouvrent sur la liberté. Quelle liberté ? Ecrire ? Changer de prison, être sauvé par une femme aimée (?) qui se vend à un conventionnel pour que votre nom ne figure pas sur la liste qui mène à la charrette ? Voilà le sadien du Sade de Benoît Jacquot. Bien plus que la scène d’initiation de la jeune fille par un valet dans une grange, scène venue tout droit de « La Philosophie dans le boudoir », mais en version rose.

Sade n’est pas présentable en société, selon le vicomte de Lancris. Il n’est pas plus représentable au cinéma. Tout passe par ses mots, or ses mots ne peuvent être mis en images. On se souvient de la débâcle du « Vice et la vertu », où Vadim transporta sottement « Justine » au temps du nazisme.

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Un article de Jean-Pierre Dufreigne publié dans l’Express du 17 août 2000.

Marquis de Sade - Le Marquis solaire d'Auteuil

Le film de Benoît Jacquot évoque essentiellement les quelques mois que le Marquis de Sade passa à la clinique de Picpus, de fin mars 1794, en pleine Terreur, jusqu’à début octobre, après la chute de Robespierre ; chute qui lui permit d’échapper de justesse à la guillotine.

À la clinique de Picpus, où la petite noblesse et l’aristocratie en état d’arrestation tuent le temps et tentent d’échapper à l’échafaud en soudoyant les geôliers, tout en jouissant d’une relative liberté à l’intérieur de l’enceinte, Sade arrive précédé de sa réputation sulfureuse d’écrivain libertin et immoral. Néanmoins, par sa franchise courageuse, son humour souvent grinçant et ses manières tout à fait dignes du gentilhomme qu’il est, il sait s’attirer l’estime, voire l’amitié de plusieurs codétenus, et notamment la fille du Vicomte de Lancris, Émilie, qu’il initiera à la sensualité, et à qui il apprendra à jouir de chaque instant de la vie, selon sa philosophie basée sur le profit de l’instant présent et un solide athéisme.

Ce film — sorti en salle le 23 août 2000 — a été récompensé en 2001 par deux Prix Lumière : celui de « meilleur acteur » pour Daniel Auteuil et de « meilleur espoir féminin » pour Isild Le Besco

Détails sur le film :
Réalisateurs : Benoît Jacquot.
Durée : 95 minutes.

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Sources : L’article sur le site de l’Express / Photo – Anonyme

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