Passons tout de même à table !

À l’heure où le musée d’Orsay se prépare à fêter le bicentenaire de la mort du Marquis de Sade de façon grandiose… je suis tombé par hasard sur l’ouvrage de Charles Monselet édité en 1888 à Paris par G. Charpentier et Cie.

« Et alors ? » me diriez-vous !

Charles Monselet, né à Nantes le 30 avril 1825 et mort à Paris le 19 mai 1888, est un écrivain épicurien, journaliste, romancier, poète et auteur dramatique français, surnommé « le roi des gastronomes » par ses contemporains. Il est avec Grimod de la Reynière, le Baron Brisse et Joseph Favre l’un des premiers journalistes gastronomiques.

Instantanés littéraires, nouvelles folâtres et romans d’amour, sa bibliographie compte une quarantaine de volumes pleins de couleur, de gaieté et de naturel.

Son poème « Les petites blanchisseuses » connut une grande notoriété au xixe siècle. Il est très souvent évoqué par les journalistes parisiens dans leurs articles parlant des blanchisseuses au moment de leur fête : à la Mi-Carême ; de ce poème libertin ils ne citent jamais que le premier quatrain, très correct, qui ne laisse pas entrevoir la suite…

Or, donc, en 1888 — dans son « De A à Z, portraits contemporains » — Charles Monselet nous offre un condensé de profils de personnages aussi atypiques qu’illustres. Gastronome, épicurien et romancier, il n’en fallait pas plus à l’auteur pour coincer Sade entre Sainte-Beuve et Maurice Rollinat.

Pour ce portrait, il ne sera pas très prolixe, vague copier/coller du testament du Marquis auquel il ajoute les péripéties d’Edmond Rochefort parut dans un ouvrage quelques années auparavant, en 1863.

Malgré le peu d’intérêt, cette mise en abyme m’a bien plu… Je vous laisse alors seul juge de la qualité de ce bref portrait en vous laissant lire tranquilement les quelques lignes qui suivent !

Marquis de Sade - Passons tout de même à table !

On sait que le trop galant Marquis de Sade, le chef d’une certaine littérature d’à présent, s’est éteint doucement dans la maison de Charenton, à un âge assez avancé, sans maladie.

Huit ans avant sa fin, il avait écrit son testament, qui est un document fort original, comme tout ce qui est sorti de sa plume autorisée.
En voici quelques dispositions :

« Je défends que mon corps soit ouvert, sous quelque prétexte que ce puisse être… »

C’est dommage ; l’examen du cerveau du Marquis de Sade aurait donné sans doute des résultats intéressants.

« Je demande avec instances qu’il soit gardé quarante-huit heures dans la chambre où je décéderai, placé dans une bière de bois qui ne sera couverte qu’au bout des quarante-huit heures… »

Le Marquis prévoyait-il un cas de léthargie ? ou bien espérait-il ressusciter ?

« Pendant cet intervalle, il sera envoyé un exprès au sieur Lenormand, marchand de bois, boulevard de l’égalité, n° 101, à Versailles, pour le prier de venir lui-même, suivi d’une charrette, chercher mon corps pour être transporté, sous bonne escorte, au bois de ma terre de la Malmaison, commune de Mancé, près d’Épernon, où je veux qu’il soit placé, sans aucune espèce de cérémonie, dans le premier taillis fourré qui se trouve à droite dans ledit bois, en y entrant du côté de l’ancien château, par la grande allée qui le partage.

La fosse sera pratiquée dans ce taillis par le fermier de la Malmaison, sous l’inspection de M. Lenormand, qui ne quittera mon corps qu’après l’avoir placé dans ladite fosse. Il pourra se faire accompagner, s’il le veut, par ceux de mes parents ou amis qui, sans aucune espèce d’appareil, auront bien voulu me donner cette dernière marque d’attachement.

La fosse une fois recouverte, il sera semé dessus des glands, afin que, par la suite, le terrain de ladite fosse se trouvant regarni, et le taillis se trouvant fourré comme il l’était auparavant, les traces de ma tombe disparaissent de dessus la surface de la terre, comme je me flatte que ma mémoire s’effacera de l’esprit des hommes.

Fait à Charenton-Saint-Maurice, en état de raison et de santé, le 30 janvier 1806.

D. A. F. Sade. »

Ce testament ne manque pas d’une poésie farouche qui est bien dans le ton de certains paysages sombres répandus à travers l’œuvre du terrible monomane. Cet enfouissement dans un taillis désert, cette préoccupation d’une disparition totale, ce fermier creusant une fosse, ce peu de monde, ce silence, tout cela fait courir un frisson dans le dos. Cela lui ressemble bien.

Les derniers mots : « Je me flatte que ma mémoire s’effacera de l’esprit des hommes » font prévoir comme un regret, un repentir, auxquels on voudrait pouvoir se raccrocher. Mais j’ai de la méfiance.

M. A. de Rochefort, le père de notre confrère de l’Intransigeant, s’est rencontré une fois à dîner avec le fameux pornographe.

Il raconte ce fait dans ses « Mémoires ».

C’était à l’occasion de la fête du directeur de Charenton.

« Un grand dîner avait été préparé, dit M. de Rochefort ; je trouvai ma place à une table où plus de soixante convives étaient réunis. À ma gauche était un vieillard à la tête penchée, au regard de feu ; les cheveux blancs qui le couronnaient donnaient à sa figure un air vénérable qui imposait le respect ; il me parla plusieurs fois avec une verve si chaleureuse et un esprit si varié qu’il m’était très sympathique. Quand on se leva de table, je demandai à mon voisin de droite le nom de cet homme aimable ; il me répondit que c’était le Marquis de S… À ce mot, je m’éloignai avec autant de terreur que si j’avais été mordu par le serpent le plus venimeux. »

Sources : Le texte sur gallica.bnf.fr / Photo – Et Carjat

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