L’art de battre sa maîtresse

Si avec un titre comme celui de cet article, la curiosité de quelques lecteurs n’est pas piquée, c’est que le Shakespeare de « Hamlet » avait raison : « Il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark ». Ce titre, très teasing, est bel et bien celui d’un loufoque exercice de rhétorique, qui suscita « bien des débats » lorsqu’il parut en 1768. Son auteur, Pierre-Jean Grosley (né à Troyes en 1718, mort en 1785), fut l’un des collaborateurs de « L’Encyclopédie » de d’Alembert et Diderot. Sa réédition bénéficie d’une spirituelle préface du professeur Michel Delon, de la Sorbonne, éditeur du marquis de Sade dans la Bibliothèque de la Pléiade et auteur, en 2013 chez Albin Michel, d’un « Diderot cul par-dessus tête ». Préface où ce fin connaisseur de Casanova éclaire une « dissertation, savante et joyeuse, qui a enchanté le XVIIIe siècle, alors que la fustigation était régulièrement pratiquée pour des raisons religieuses, pédagogiques ou érotiques. On recourait au fouet pour détourner l’élève du mauvais chemin et pour re dresser une virilité hésitante. » Et d’observer, malicieusement : « Qu’on plaisante ou s’indigne, la Dissertation sur l’usage de battre sa maîtresse appartient à un Ancien Régime du rire. On ne peut, de nos jours, gifler un enfant sans mobiliser les ligues de vertu, faire rougir les fesses d’une amie sans voir débarquer une escouade de Femen, tous seins dehors. Il semble même interdit d’en rire. L’humour noir, auquel André Breton a donné ses lettres de noblesse il y a un demi-siècle, révulse aujourd’hui les belles âmes. Se vouloir bête et méchant n’est pas de tout repos. Qu’il soit donc bien entendu qu’il ne faut battre ni sa maîtresse, ni son épouse, ni personne. »

Étourdissante d’érudition littéraire et historique, spécialiste de Sade, elle aussi, lui consacrant deux livres en 1978 et 1994, Chantal Thomas (lauréate en 2002, pour « Les Adieux à la Reine », du prix Femina dont elle est devenue membre du jury) nous offre, avec « Un air de liberté », des variations sur l’esprit du XVIIIe : « variations sur un esprit rebelle et vagabond, fantaisiste, attaché à la jouissance singulière, au refus de tout comportement de groupe. » Par l’essayiste de « La Reine scélérate. Marie-Antoinette dans les pamphlets » et de « Souffrir », un recueil, étincelant d’esprit, d’analyses (prépa rues dans diverses revues) d’œuvres de Casanova, Sade, Laclos, Tiepolo ou Mozart qui « ne cessent de tendre à développer une philosophie du plaisir, une intelligence du désir, un génie du moment. Un esprit révolutionnaire ? Libertin et libertaire plutôt […] ». On y trouve aussi, entre autres, des pages sur Isabelle de Bavière ou « le règne du crime » et sur Mme de Staël, « philosophe des passions ».

Marquis de Sade - L’art de battre sa maîtresse

D’une autre dix-huitiémiste réputée, notre jeune compatriote Valérie André, professeur à l’Université libre de Bruxelles et maître de recherches du FRS/FNRS, nous avions applaudi « Réflexions sur la question rousse », paru chez Tallandier (cf. « Lire » du 11 mai 2007) : une enquête sociologique et littéraire qui nous rappelait que, « depuis l’Antiquité, l’imaginaire collectif a associé la chevelure rousse à la sexualité et au mal ». Ces préjugés, constate-t-elle, « n’ont rien perdu de leur vivacité et connaissent même un regain de vigueur dans la presse et au cinéma où ils s’affichent impunément, échappant à la censure vigilante du politiquement correct… » Dans ce stimulant texte inédit, sous-titré « Histoire littéraire d’un préjugé », la subtile Valérie André propose « la synthèse d’une réflexion déjà aboutie mais qui trouve aujourd’hui de nouveaux prolongements. » In fine, y est reproduite la rousse crucifiée nue de « La Tentation de saint Antoine », l’œuvre la plus érotique du graveur et peintre namurois qu’admirait Baudelaire, Félicien Rops. Provocante en diable.

Un article de Francis Matthys pour La Libre.be du 06 mars 2014

Détails sur le produit :

L’art de battre sa maîtresse, Pierre-Jean Grosley Cherche Midi 92 pp., env. 13,50 €.

Un air de liberté Chantal Thomas Manuels Payot 296 pp., env. 19,50 €.

La rousseur infamante Valérie André Académie royale de Belgique, collection « L’Académie en poche » 120 pp., env. 5 €.

Sources : La Tentation de Saint Antoine – Felicien Rops

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