Au bois de ma terre de la Malmaison…

« Au bois de ma terre de la Malmaison, commune de Mancé, près d’Épernon, Je veux que mon corps soit placé sans aucune cérémonie, dans le premier taillis fourré qui se trouve à droite dans ledit bois, en y entrant du côté de l’ancien château par la grande allée qui le partage »… Telles étaient les dernières volontés du Marquis de Sade… elles ne furent pas respectées… Faut il le regretter ? Imaginez le haut lieu de mémoire que notre commune [d’Emancé] serait devenu, but de pèlerinage de tous les fervents admirateurs du « Divin marquis » !

Qui était le Marquis de Sade ?

Donatien Alphonse François de Sade est né le 2 juin 1740 à Paris à l’emplacement du théâtre de l’Odéon. Là se trouvait l’hôtel de la famille de Condé car sa mère, Marie Éléonore de Maillé-Brézé, est dame d’honneur de la princesse Caroline. Son père est Jean Baptiste, comte de Sade, seigneur de Saumane, Lacoste et Mazan. Cette famille provençale est très ancienne : Louis, gouverneur d’Avignon au XIIe siècle a entrepris la construction du célèbre pont Saint-Bénézet. Les Sade doivent leur fortune à la présence des papes en Avignon au XIVe siècle. Au XVIIIe siècle ils conservent des charges pontificales héréditaires à Vaison-la-romaine et Avignon. Ce père est brillant – capitaine de dragons au régiment de Condé, envoyé en ambassade en Russie puis à Londres – et déjà un libertin dans les deux sens du terme : désireux d’indépendance, athée, mais aussi déréglé par rapport à la moralité entre les deux sexes. Il gâche sa carrière par des paroles trop libres contre Louis XV et Mme de Pompadour.

Quant au Marquis, il écrivit : « je crus, dès que je pus raisonner, que la nature et la fortune se réunissaient pour me combler de leurs dons ; je le crus, parce qu’on avait la sottise de me le dire, et ce préjugé ridicule me rendit hautain, despote et colère. » D’abord élevé en Provence, il entre à 10 ans au très aristocratique collège Louis le Grand à Paris. A 14 ans il est admis à l’Ecole de cavalerie légère de la Maison du Roi, à Versailles et 5 ans plus tard, après avoir participé à la guerre contre la Prusse, il est capitaine au régiment de Bourgogne. Il est courageux mais de très mauvaise réputation dans toutes ses garnisons. Son père le marie à 23 ans à Renée-Pélagie Cordier de Montreuil, de petite noblesse mais héritière d’une grande fortune. Elle l’aime et le soutient pendant près de 30 ans. Leurs deux fils ont eu une descendance qui a refusé de porter le titre de Marquis.

Marquis de Sade - Au bois de ma terre de la Malmaison...

En septembre, l’année de son mariage, il est incarcéré pour la première fois pour débauche outrée. S’ensuivent 26 années d’emprisonnements successifs et de condamnations pour torture et cruauté. Vers l’âge de 40 ans il passe 5 ans dans le donjon de Vincennes puis 2 ans à la Bastille. En prison, pour s’occuper, il commence à écrire des romans comme « Les Cent vingt journées de Sodome » (un catalogue de perversions) mais aussi des pièces de théâtre… sa bibliothèque compte jusqu’à 600 volumes et ses manuscrits.

En mars 1790, il est libéré grâce à l’abolition des lettres de cachet, symbole de l’arbitraire royal. Sa femme, lasse de ses violences, obtient la séparation. Ses deux fils émigrent. Pour survivre, il cherche à faire jouer ses pièces et publie anonymement « Justine ou les malheurs de la vertu », qualifié alors d’infâme roman. Il milite dans la section révolutionnaire de son quartier. C’est pourtant en tant que suspect qu’il est arrêté en décembre 1793. Le décret du 13 septembre 1793, en application de la loi du 8 avril précédent stipule : « Art.1. Tous les gens suspects qui se trouvent sur le territoire de la République seront mis en état d’arrestation. » L’ Art.5. précise l’un des cas : « les ci-devant nobles… qui n’ont pas manifesté leur attachement à la révolution… » Il est condamné à mort mais échappe à la guillotine et est libéré en octobre 1794. Il vit petitement de ses publications où la luxure le dispute à la cruauté. En raison de sa violence érotique, de son délire du vice, de sa pornographie, il est à nouveau enfermé dans l’asile des fous de Charenton en 1801, définitivement. Le Régisseur général est alors l’Abbé de Coulmier. Il invite le tout-Paris à des représentations théâtrales « thérapeutiques » et en délègue l’organisation au Marquis de Sade. Celui-ci meurt, obèse et malade, le 2 décembre 1814.

En 1841 le néologisme sadisme apparaît, au sens de perversion sexuelle dans laquelle la satisfaction est liée à la souffrance d’autrui. La psychologie sexuelle moderne s’y intéresse dès 1901. Guillaume Apollinaire puis les Surréalistes le mettent à l’honneur comme l’esprit le plus libre qui ait jamais existé. En 1986, l’oeuvre intégrale est éditée chez Fayard.

Marquis de Sade - Au bois de ma terre de la Malmaison...

Le Marquis de Sade a-t-il était propriétaire de la Ferme de la Malmaison ?

Le Marquis de Sade est donc libre de mars 1790 à décembre 1793 et de octobre 1794 à mars 1801. Le 2 novembre 1789, la confiscation des biens du clergé est décidée. Ils vont constituer les Biens nationaux, vendus aux enchères car la faillite financière de l’Etat, en 1788, n’est pas résolue… la Ferme de la Malmaison appartenant au Chapitre de Chartres devrait donc être vendue à cette époque or, dans l’un des nombreux documents relatant l’histoire locale, il est écrit Le chapitre de Chartres vend le domaine de la Malmaison à la chute de Robespierre, c’est-à-dire en juillet 1794. C’est possible mais… A partir du 30 mars 1792, la notion de Bien national est élargie à ceux des émigrés et des suspects. Ceux des émigrés sont confisqués puis vendus à partir du 27 juillet. Ceux des suspects sont mis sous séquestre. C’est le cas du Marquis : il a pourtant fréquenté la même section que Robespierre mais il n’a trompé personne et ses biens en Provence sont mis sous séquestre : il n’a plus de ressources.

C’est donc bien entre mars 1790 et mars 1792 qu’il a pu acquérir la Malmaison. Les Archives départementales des Yvelines conservent peut être l’acte de vente (cette série n’est pas encore numérisée) ou le mystère restera entier.

Un article de Danielle Depaux

Sources : Danielle Depaux via la Mairie d’Emancé / Photos : Bases Architecture et Patrimoine

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