L’Enfant Sade

Quentin Debray aime enfourcher sa machine à remonter le temps. Écrire un roman sur le monde contemporain ne lui sied pas. Non, il préfère voler vers d’autres époques, faire un tour vers la Vienne de Freud (L’Impatiente de Freud), s’acoquiner avec le Paris jazzy des années cinquante (Le Moment magique), virevolter au XIXe siècle au temps de Delacroix (La Bataille de Nancy) ou de Corot (Le Pont d’Auguste). Le voici maintenant à l’époque de Sade, au XVIIIe siècle, avec L’Enfant Sade. Un pari risqué mais Quentin Debray connaît son affaire. Ancien professeur de psychiatrie honoraire de l’Université Paris V, il s’est intéressé à la psychologie cognitive et comportementale et a écrit plusieurs ouvrages sur les comportements déviants de l’être humain. Le Marquis de Sade, c’est alors une façon d’autopsier le personnage d’une façon romanesque et d’en révéler des contours inaperçus.

Certes, Sade est sujet à controverse. On peut aimer ou pas l’individu sulfureux qu’il fut et ses célèbres et non moins sulfureux romans. On peut même voir dans la célébration de ceux-ci par Roland Barthes, Michel Foucault ou Georges Bataille, une apologie du mythe libertaire en matière sexuelle. Même en philosophie, Dany-Robert Dufour (Le Divin marché) explique que le libéralisme associe subtilement Adam Smith et Sade, pour rendre compte de la dérégulation des mœurs actuelles. Sans oublier la polémique qui fait toujours rage : le Divin Marquis fait-il l’apologie de la perversion ou en livre-t-il au contraire une critique impitoyable ?…

Sade a écrit Aline et Valcour, roman philosophique et épistolaire publié en 1793 mais écrit dans les années 1780 alors qu’il était embastillé. Il est surtout l’auteur de La Philosophie dans le boudoir (1795), ouvrage détaillant le registre des perversions. Sade fait plusieurs fois l’apologie de la pédophilie à travers les discours d’un personnage, Dolmancé (Troisième dialogue), mais aussi celles du viol, de l’inceste et du meurtre (Cinquième dialogue). Acclame-t-il ou dénonce-t-il ? Le problème est que si l’on transpose de telles scènes d’une façon cinématographique, elles seraient nettement tendancieuses. Pourquoi ne pas avoir fait mieux sortir la limite avec une intrigue qui, sans être soulignée et moraliste, aurait mieux fait sentir cette perspective ? C’est toute cette dialectique du mal qu’un romancier doit faire émerger, pour faire sentir le diable en nous, et en même temps, le résorber narrativement. Selon nous, Sade n’était cependant pas Choderlos de Laclos, auteur des remarquables Les Liaisons dangereuses.

Comme on sait, Sade a fauté, ce qui jette une ombre sur son œuvre. Il aurait abusé en 1768 d’une veuve de 36 ans, Rose Keller. Il l’aurait attachée sur un lit, flagellée, enduit ses blessures de cire brûlante avant d’atteindre l’orgasme. L’affaire fut un scandale et Sade fit six mois de détention. Un autre scandale vint pimenter la vie du Marquis en juin 1772 avec l’affaire de Marseille : il aurait proposé à quatre filles des pastilles à la cantharide. Arrêté le 13 février 1777, il fut incarcéré au château de Vincennes par lettre de cachet.

Marquis de Sade - L'Enfant Sade

Le roman de Quentin Debray ne parle pas de ces épisodes sans doute trop connus. Le périple dure sur plus de 350 pages, le romancier se concentrant principalement sur l’enfance et l’adolescence de Sade, des épisodes peu relatés. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs s’il s’attarde sur l’enfance de Sade : le roman d’éducation était l’un des genres les plus prisés au XVIIIe siècle. L’auteur décrit avec sensualité l’enfance du petit Donatien dans le château de Saumane où l’abbé Jacques de Sade, érudit et libertin, s’occupe de l’éducation de son neveu de l’âge de quatre ans à dix ans. C’est l’occasion pour le jeune Marquis de découvrir des scènes égrillardes, la beauté de la nature et les cuisines où l’on dépèce les animaux, un objet de fascination pour lui. Saveurs, odeurs et senteurs parfument ce roman d’essences capiteuses. Tout ceci avant que son père, Jean-Baptiste de Sade, ne l’envoie à Paris pour parfaire son éducation. Le jeune homme entre alors au collège Louis-le-Grand où il va être marqué par les pères jésuites. Il fait la connaissance de prostituées avant de rencontrer plus tard deux jeunes femmes, Pernelle de l’Aunaie et sa cousine Olinde dans le château de Longueville où la famille va chaque année en villégiature… N’en disons pas trop…

Le roman de Quentin Debray est remarquablement écrit. Phrases longues et rythmées, exaltantes et sensuelles, rubans narratifs virevoltants et ensorcelants, riches en détails concrets faisant tourner la tête comme un bon vin. Et la peinture aussi d’une époque particulière, fruit sans doute d’une recherche livresque captivante. Le roman met l’accent sur le portrait d’un jeune homme dont l’enfance fut perturbée alors qu’il avait tout pour mener une savoureuse existence, certes privilégiée. Pour comprendre – comprendre, pas excuser – les comportements pervers que l’on sait. Comprendre pour ne pas condamner non plus d’une manière moraliste et lapidaire. Le roman de Debray ausculte cette ombre ayant terni une existence qui avait tout pour être ensoleillée.

Un article de Yannick Rolandeau pour Parution.com le 15 juillet 2013.

Détails sur le produit :

Editeur : Pierre-Guillaume de Roux. Paris.
Date de parution : 14 Mars 2013.
Nombre de pages : 365 pages.
ISBN : 9782363710550.

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Sources : L’article de Yannick Rolandeau / Le site de la maison d’édition

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