La crise économique de 2008 : triomphe posthume du marquis de Sade ?

Au-delà de la violence de ses écrits, ce parent pauvre de la littérature française développe un système philosophique ambitieux pour une nouvelle organisation des rapports humains, notamment dans « Justine ou les Malheurs de la vertu ». Il le résume ainsi, s’adressant à son héroïne : « Ne te contiens donc point, nargue tes lois, tes conventions sociales et tes Dieux. » Tout un programme !

En effet, Sade développe l’idée d’une société dominée par la morale libertine, qui impose que l’individu fort conquiert son bonheur par la jouissance au détriment des individus faibles. La « moralité » de ce système s’appuie sur la nécessité de ne pas outrager la Nature, qui, selon le libertin, ne connaît que la loi du plus fort. Similairement, Jean-Baptiste Say et Frédéric Bastiat en particulier s’appuieront sur des lois économiques, qui, puisque dites « naturelles », imposent au législateur de les laisser s’exprimer le plus librement possible, par le laissez-faire, le laissez-passer, la compétition à outrance des égoïsmes et la limitation des systèmes de solidarité collective.

Marquis de Sade — La crise économique de 2008 : triomphe posthume du marquis de Sade ?

Sade, comme ces premiers libéraux, justifie le respect de ces lois naturelles par une meilleure efficacité du système ; pour le premier, les désirs assouvis sont plus nombreux, pour les autres, la croissance économique est plus forte. Le partage du bonheur libertin, comme celui de la valeur ajoutée est en effet un jeu à somme nulle dont les lois dites « naturelles » de Sade et des libéraux, appellent à la concentration des bénéfices.

Mais « Justine, c’est nous » ! Elle ne se soulève jamais contre ses oppresseurs et laisse s’effondrer autour d’elle toutes les institutions protectrices ; famille, religion, Etat… Justine finit par mourir des « malheurs de la vertu » laissant place aux « prospérités du vice ». Notre société en manque de lien social connaîtra-t-elle le même sort à l’occasion de la crise économique actuelle ? Serait-elle l’ultime soubresaut d’un système égalitaire, héritier de la Révolution française, fatigué de sa bataille face à l’égoïsme du capitalisme ultralibéral dominant dans le monde, triomphe posthume de Sade ? En tout cas, le projet sadien est clair : « Partout où les hommes sont égaux, le bonheur n’existera jamais. »

Un article, pour le Nouvel Observateur du 14 Février 2013, de Pascal de Lima (avec Gwenaël Le Sausse), économiste et enseignant à Sciences-Po.

Sources : L’article en ligne sur YouScribe

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