La Corde à Linge

Ma grand-mère habite sur une colline, la colline du Puy Marquis. Sa maison surplombe tout le Luberon, c’est une magnifique bâtisse provençale entourée de verdure, de chênes, de sapins mais aussi de vignes.

Mon grand-père travaille aux champs pendant qu’elle me garde avec mon frère et mon cousin, le mercredi. Je suis la plus grande de la famille. Pendant que mon frère et Hugo s’amusent dans le jardin à creuser des trous pour trouver des os de dinosaures, je reste avec elle pour l’aider à préparer les crêpes. J’adore ce moment.

Mamour, ma grand-mère, sent bon la myrtille et le sucre. Elle a sur son visage la douceur et la gentillesse. Souvent elle me demande de l’aider à étendre le linge, mais ce jour-là j’y vais seule. Je prends donc le panier plein de linge blanc et vais en direction du bois. Je dois passer par un petit escalier qui mène à un ancien lavoir, puis je continue à longer le petit chemin de pierre et là tout au fond du bois il y a la corde à linge.

Il commence à faire sombre. Le vent souffle dans les arbres, l’angoisse monte. J’essaie de ne pas y penser. Il n’y a rien ici ni personne à part moi. Je ne dois pas avoir peur. Alors je commence à étendre les draps. Une brise me caresse la nuque. Le vent s’engouffre sous ma robe. J’ai l’impression d’être nue. On dirait que quelqu’un m’observe… et pourtant il n’y a rien ni personne.

Marquis de Sade — La Corde à Linge

Une branche craque. Je me retourne. Rien. Je vais plus vite, j’attrape une chemise de nuit la lance sur la corde à linge tire un peu dessus et attrape un autre morceau de tissu. Je ne regarde que mon panier et la corde à linge. Un nuage cache le soleil. Il fait froid. Il fait sombre. Il fait humide. Le panier est toujours aussi plein.

Je ne veux plus retourner seule dans ce bois, plus jamais. Je chante : « Vent frais, vent du matin, vent qui souffle aux sommets des grands pins… » Rien à faire, la peur est toujours là. Je n’ose plus bouger. Je ne sais pas quoi faire. Crier peut-être ? Pas sûr qu’on m’entende… Quelqu’un me regarde.

Un regard malsain, je sens ces yeux parcourir mon corps, de la pointe de mes pieds, le long de mes jambes, jusqu’à mes cuisses, mes hanches, ma taille, le long de ma colonne vertébrale jusqu’à mon cou. Je lâche ce que j’ai dans les mains et me met à courir, je cours encore et encore. Je remonte les marches en pierre, trébuche, m’ouvre le genou, me relève en vitesse et continue à courir. Je finis par atteindre la cuisine ou j’attrape Mamour par la taille et me sers contre elle.

Elle me demande ce qui ce passe. Je lui explique ma peur d’enfant. Elle en rit et me rassure. C’est l’heure du goûter. Nous mangeons les crêpes tous ensemble. Ma peur a disparu.

Ce n’est que dix ans plus tard que j’appris que le Marquis de Sade avait habité dans cette maison et y avait pratiqué quelques sévices dans ce bois sombre où il s’amusait à attacher ses victimes avant de les tuer. Peut-être que ce jour-là il était revenu rendre visite à sa chère demeure et me trouvant sur ses lieux avait essayé de me toucher… Est-ce peut être une simple angoisse d’enfant ? Quoi qu’il en soit ce bois restera pour moi un mystère effrayant.

« La Corde à linge » est un essai écrit par Giulia Nieddu.

Sources : L’essai sur le site de l’auteur / Photo : « Maison de Gaufridy à Apt » – Persephone

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