De Natura Rerum !

Aujourd’hui 6 décembre, c’est la Saint Nicolas. Comme mise en bouche avant de vous parler d’autre chose, je voudrais vous raconter un conte. Asseyez-vous, car celui-ci est long, fermez les rideaux pour être dans l’ambiance… mais surtout n’appelez pas vos enfants !

L’histoire raconte qu’il y a très longtemps au cœur d’une lointaine forêt, vivaient un pauvre bûcheron, sa femme et leurs sept enfants…

« […] L’été s’en était allé depuis longtemps et le brouillard, puis le gel et la neige étaient venus. Le bûcheron était un brave homme qui avait horreur de faire du mal aux arbres. Et plus il vieillissait et plus il aimait les arbres. Lui et sa femme voyaient venir l’hiver avec angoisse car, cette année-là, il avait très peu vendu de bois. Tous les jours, ils envoyaient leurs sept enfants dans la forêt, y cueillir des baies, ramasser des marrons et des champignons, et ramener du bois mort pour se chauffer. Ils espéraient pouvoir survivre jusqu’au printemps.

Ce jour-là, ils avaient marché longtemps, très longtemps sans rien trouver. Les trois petites filles avaient froid et mal au pied, mais elles ne voulaient pas rentrer à la maison sans avoir rien trouvé. Aussi, elles encourageaient leurs frères à aller chercher plus loin, encore et encore. Puis le jour commença à tomber. Le tapis de neige craquait sous leurs pieds et le vent redoublait de froidure. Quand ils voulurent retourner à la maison, ils durent se rendre à l’évidence : à force d’aller plus loin, encore plus loin et toujours plus loin, ils s’étaient perdus. La nuit tomba. Ils s’étaient blottis les uns contre les autres, pour avoir moins froid, et appelaient, appelaient leurs parents. Mais rien ! Personne ne leur répondait. Ils entendaient le bruit du vent dans les arbres et, au loin, le cri des animaux qui ne sortent que la nuit. Ils avaient froid. Ils avaient faim. Et surtout, ils avaient peur. Ils marchaient ainsi, en trébuchant à chaque pas, et appelaient : “Papa, Maman, nous sommes là !” quand, soudain, ils virent une lumière dans la nuit. Leur cœur se réchauffa. Ils se mirent à courir, à courir vers cette lumière dont ils étaient sûrs que c’était leur maison.

Quand ils arrivèrent à proximité alors la porte s’ouvrit. Un frisson les parcourut. Sur le seuil, se trouvait un homme immense, les cheveux hirsutes, des yeux de braise et une barbe menaçante. Ils n’eurent pas le temps d’avoir peur car le géant leur dit d’une voix douce : “Venez entrez, petits enfants. Je vous connais, vous êtes les fils du bûcheron. Je vous ai souvent vus qui courraient dans les bois”. Alors, légèrement rassurés, ils entrèrent dans la maison. “Je sais que vous avez faim” leur dit-il. “Alors je vais vous donner un bon repas”.

L’Ogre, car c’était lui, les regardait en cachette, se léchant les babines. Il se mit à leur préparer un bon repas pour qu’ils fussent bien gras. Il se faisait rassurant, disant aux petits garçons et aux petites filles, que dès que le jour serait levé, il les emmènerait retrouver leurs parents. Les enfants avaient toujours peur car, à chaque pas qu’il faisait, le géant faisait trembler la maison. Et il était toujours aussi hirsute et ses yeux ressemblaient de plus en plus à des fourneaux dans lesquels brûlaient des monceaux de bois. Mais les enfants avaient une si grande faim qu’ils se mirent à table avec appétit et mangèrent tout, sans en laisser une seule miette. L’ogre se frottait les mains car il avait mis dans la nourriture, une plante qui ferait dormir les trois petites filles et les quatre petits garçons jusqu’au lendemain. Comme ils bâillaient à s’en décrocher la mâchoire, il les mena dans sa chambre. Son lit était immense. Il coucha les trois petites filles d’abord, qui s’endormirent immédiatement. Ensuite il coucha les quatre garçons, remonta les couvertures et l’édredon jusque sur leurs épaules, éteignit la chandelle, et s’en alla attendre dans la cuisine.

Quand il les entendit ronfler, il arriva à pas de loup. Il prit dans ses bras la plus petite des petites filles, l’emmena dans la cuisine, lui coupa les mains, les bras, les pieds, les jambes et la tête et mit le tout dans le saloir. Il revint dans la chambre, prit la seconde fillette, lui coupa la tête les mains et les bras, puis les pieds et les jambes et mit le tout dans le saloir. Il revint dans la chambre, emporta la troisième fillette et lui fit subir le même sort. Puis il en fit autant à chacun des petits garçons, se léchant les babines à chaque fois qu’il en découpait un morceau.

Quand son saloir fut plein, il le recouvrit de sel, le referma et, tout joyeux, il partit danser dans la forêt.

Marquis de Sade — De Natura Rerum !

Et l’hiver passa. Et le printemps revint. Puis l’été. Et l’automne de nouveau fut là. Les parents des petits enfants les avaient cherchés partout. Ils avaient couru pendant des jours et des jours à travers la forêt, les appelant et pleurant sans cesse, jour et nuit. Ils demandaient à tous ceux qu’ils croisaient “Avez-vous vu nos trois petites filles et nos quatre petits garçons ?” Mais personne ne les avait vus. Le pauvre bûcheron se désespérait et, lui et la bucheronne, c’était sûr, ils allaient mourir de chagrin. Chaque fois qu’il sortait dans la forêt, il parlait avec les arbres, leur demandant s’ils savaient quelque chose, mais les arbres ne pouvaient lui répondre. Le pauvre bûcheron fut bientôt persuadé que c’était eux qui s’étaient vengés de tous les arbres qu’il avait abattus. Il leur demandait pardon en se tordant à leurs pieds. La bûcheronne, elle, ne savait plus parler de douleur : elle ne pouvait plus que sangloter et elle délaissait sa besogne.

Vint à passer le Père Saint-Nicolas, qui adorait les enfants et qui fut tout ému de tant de douleur. Avec son âne, il partit dans la forêt, au hasard des chemins. Mais les arbres, qui avaient pitié des larmes de la bûcheronne et du bûcheron, le guidèrent imperceptiblement, vers la maison de l’Ogre. Quand il y arriva, il comprit instantanément ce qui s’était passé. Le père Saint-Nicolas descendit de son âne et frappa à la porte. Quand l’Ogre ouvrit la porte, il fut pris de peur devant la voix tonnante du Père Saint-Nicolas. “Ouvre-moi ton saloir, pauvre misère !”, lui dit-il, le menaçant de sa canne. Tremblant de peur, l’Ogre ouvrit le saloir et voulut se sauver, mais le père Saint-Nicolas, d’un geste de sa crosse, le transforma en saucisse. Il sortit les enfants du saloir, et recolla les morceaux. Ceux-ci se mirent à s’étirer comme s’ils avaient fait un long sommeil. Ils baillaient et s’étiraient encore et encore, et ne se souvenaient plus de rien, se demandant ce qu’ils faisaient dans cette maison étrange.

Le père Saint-Nicolas les mit sur son âne, leur donna à chacun une orange, un morceau de chocolat et du pain d’épice puis, à travers la forêt, les ramena chez eux. L’âne était content et fier de les tenir sur son dos, d’autant plus qu’avant de s’en aller de la maison de l’Ogre, les enfants avaient eu le temps de prendre des carottes dont ils le régalaient en marchant.

Quand ils arrivèrent à la maison, le Père Saint-Nicolas les fit descendre et ils allèrent frapper à la porte, pour faire la surprise à leurs parents. Ils sautèrent dans leurs bras et tout le monde pleurait de joie, s’étreignant encore et encore. La bûcheronne était si contente, qu’elle se mit à faire un gâteau en chantant. Mais quand les enfants voulurent leur présenter le Père Saint-Nicolas, ils se rendirent compte qu’il avait disparu et était reparti avec son âne. Ils voulurent l’appeler, mais seuls les grands arbres de la profonde forêt des Ardennes leur répondirent, en se balançant doucement, comme s’ils dansaient, dans le ciel bleu de l’hiver.

Cette histoire se raconta de bouche à oreille, et c’est pour cela que, maintenant, tous les enfants savent que, quelque part, le Père Saint-Nicolas est là, qui les protège et c’est aussi pour cela que, tous les ans, ils sèment des carottes pour guider son âne jusqu’à leur chambre, afin qu’il leur apporte des oranges, des chocolats et du pain d’épice. »

Marquis de Sade — De Natura Rerum !

Sympathique… non ? On se réveille et on remercie Wilmet d’avoir écrit ce « joli » conte sur la base de la légende de « Saint Nicolas et les trois petits enfants » !

Dans nos esprits, Saint Nicolas correspond à l’image d’un être grassouillet à la barbe blanche et au costume rouge ; c’est un personnage chaleureux qui apporte aux enfants des oranges et des bonshommes « Tibiscuit » en passant par la cheminée. Pourtant, derrière l’apparence bonasse de cet être se confondant avec le Père Noël, se cache un être maléfique tout droit sorti des plus anciennes traditions ? À l’origine de ce côté sombre, un être très vieux, chasseur sauvage, Roi des Enfers, qui allait de maison en maison réclamer son tribut : les enfants peu obéissants qu’il mettait dans sa hotte…

La hotte d’Hellequin — c’est le nom de l’être maléfique — renvoie évidemment à celle du Père Fouettard. Du coup le visage blanc du bon Saint Nicolas contraste alors avec celui de son comparse le Père Fouettard, personnage sauvage, souvent recouvert de feuillage et d’une peau de bête. Cette figure inquiétante est parfois interprétée comme étant un « double diabolique ». Cette hypothèse fait alors peser sur le saint homme un immense soupçon, celui de n’être qu’un masque posé sur un être mythologique archaïque et très ancien. La légende concernant la résurrection des trois petits enfants prend du même coup un tout autre sens : Saint Nicolas et l’Ogre-Boucher ne feraient plus qu’une seule et même personne… [les enfants allez vous coucher]

Marquis de Sade — De Natura Rerum !

C’est également un 6 décembre — celui de l’année 1793 — que se fait remarquer un autre « Ogre »… Le Marquis de Sade étant connu à cette date, non pas pour avoir fait peur au Petit Poucet en léchant le c** des demoiselles, mais pour avoir été arrêté pour déclamation contre la peine de mort ; cette arrestation a de quoi faire sourire quand l’on connaît le passif du personnage. Sachez pourtant que celui-ci, durant la Révolution, était souvent le porte-parole de sa section, la fameuse section des Piques. En vrai républicain, admirateur de Marat, mais ennemi de toute peine de mort, il avait des idées qui lui appartenaient. Profitant de son statut, il profita de ses ouvrages pour exposer ses théories. Dans son « Idée sur le mode de la sanction des lois », il imagina des lois, proposées par les députés, mais votées par le peuple : « à la sanction des lois cette partie du peuple la plus maltraitée du sort, et puisque c’est elle que la loi frappe le plus souvent, c’est donc à elle à choisir la loi dont elle consent à être frappée ».

« Humaniste et bienveillant », celui-ci disait sous la Terreur « […] qu’aucun geste meurtrier ne peut être condamné : la mort étant dans l’ordre du monde, elle fait donc partie de l’économie vitale ; sans la mort, aucune génération ne serait possible ». Sade va même plus loin en légalisant le meurtre : « La destruction étant l’une des premières lois de la nature rien de ce qui détruit ne saurait être un crime ». La morale civile de Sade reconnaît donc à chacun la liberté d’homicide et préconise l’abolition de la peine de mort comme sanction légale du meurtre. La régulation n’agira que par voie de vengeance personnelle non pas par la froideur d’une loi. Sade se justifie en soulignant qu’il est contradictoire de condamner le crime et d’en commettre un de même sorte en guise de sanction. Il note surtout que le crime commis dans la chaleur de la passion a précisément pour excuse une impulsion vitale alors que rien n’est plus contraire à l’ordre de la nature que d’imposer à un bourreau de déchaîner sa violence sur un individu parce qu’un juge l’a décidé.

Pendant le Directoire, le Marquis cessa de s’occuper de politique. Au mois de juillet 1800, il fait paraître — selon les rumeurs — « Zoloé et ses deux acolytes », roman à clef qui provoqua un énorme scandale. On y reconnaissait le Premier Consul et Joséphine. Il fut arrêté, en 1801, chez son éditeur à qui il devait remettre un manuscrit remanié de Juliette qui servit de prétexte à son arrestation. Il fut enfermé à Sainte-Pélagie, de là transféré à l’hôpital de Bicêtre, comme fou, et enfin enfermé à l’hospice de Charenton le 27 avril 1803… Il ne retrouva jamais sa liberté. Il mourut, à l’âge de 74 ans, le 2 décembre 1814, en ayant passé près de trente ans en prisons… cela sous tous les régimes !

Sources : « Histoire véridique du Père Saint Nicolas » – Wilmet / « Le Petit Poucet » – Gustave Doré / « Tibiscuit » – Shrek 3 / « Oden som vandringsman » – Georg Von Rosen

Pour en savoir plus , fondateur du forum et de ce blog.