Le Marquis de Sade et la Sodomie

Le concept de sodomie n’a désigné uniquement le rapport sexuel entre individus du même sexe que fort tard. Même au XVIIIe siècle, on préférait rester flou sur l’existence de telles pratiques.

Un article extrait du blog de Jean-Yves Alt.

Au Moyen-Age, les pénitentiels désignent ainsi sous le vocable de sodomie des actes qui relèvent de la masturbation ou de l’éjaculation en dehors du sexe féminin. La réprobation des activités sexuelles remonte seulement à la fin de cette période, quand la syphilis commence à faire des ravages. On promulgue alors des édits pour interdire les bordels. La prostitution devient une activité délictueuse. On peut estimer que l’incrimination des pratiques homosexuelles s’inscrit à cette époque dans un souci général de contrôler la débauche.

La sodomie, dans la mentalité des intellectuels français du XVIIIe siècle, est considérée comme une pratique sexuelle liée à l’apprentissage de l’érotisme. Ce n’est pas seulement un acte homosexuel. Il suffit de lire Sade, mais aussi les romans libertins et pornographiques de l’époque pour se rendre compte que c’est une pratique qui prend une valeur symbolique détachée du sujet avec lequel on l’exerce. « Tenons-nous donc pour bien assurés qu’il est aussi simple de jouir d’une femme d’une manière que de l’autre, qu’il est absolument indifférent de jouir d’une fille ou d’un garçon », écrit Sade dans « La philosophie dans le boudoir ».

La sodomie enfreint l’interdit religieux et cela suffit avant tout pour lui donner une totale légitimité sensuelle. Chez les gens raffinés, le plaisir compte avant tout. Qu’importe la façon dont il a été obtenu. En fait, le XVIIIe siècle invente l’érotisme. Il est polymorphe et sans tabou. Dans « La philosophie dans le boudoir », Sade fait dire au Chevalier de Mirvel qui vante ses expériences sexuelles avec des hommes : « Je ne me livre à ces goûts bizarres que quand un homme aimable m’en presse. Il n’y a rien que je ne fasse alors. » Le Chevalier décrit ensuite à Madame de Saint-Ange une partie avec trois de ses amis masculins pour ajouter aussitôt : « Mais quoi qu’on en dise, tout cela, ce sont des extravagances que je ne préférerai jamais au plaisir des femmes. »

Marquis de Sade - Le Marquis de Sade et la Sodomie

Dans la sensibilité érotique du XVIIIe siècle, la sodomie est un acte en soi. Si un homme la pratique avec quelqu’un de son sexe, cela reste quand même « bizarre » ou « extravagant ». Mais, ce faisant, il n’est pas atteint dans son identité masculine. Cela ne veut pas dire que la réprobation de tels actes n’ait pas existé. L’opinion y était aussi hostile qu’aujourd’hui au Caire ou à Tunis. La police se chargeait de poursuivre les débauchés.

En fait, Sade, en émettant certaines restrictions sur la valeur de l’acte homosexuel, anticipe des discriminations futures. Les libertins de l’époque s’intéressent déjà à la personnalité non conformiste de ceux uniquement attirés par une personne de leur sexe. On leur reproche une spécialisation sexuelle incompréhensible alors qu’il faut jouir de tout. La sodomie oui ! mais les sodomites non ! Même si le Chevalier de Mirvel condamne ceux qui répondent par des coups de canne aux propositions homosexuelles, il ajoute : « L’homme est-il maître de ses goûts ? Il faut plaindre ceux qui en ont de singuliers mais ne les insulter jamais : leur tort est celui de la nature. »

Les sodomites ont tort et il faut les plaindre. Les révolutionnaires, au moment où Sade écrit ces lignes, pensent la même chose. Pour Condorcet, dans ses « Œuvres complètes », la sodomie est « un vice bas, dégoûtant, dont la véritable punition est le mépris. »

Mais le Code pénal ne doit pas se préoccuper d’eux, leur problème n’est pas du ressort de la justice des hommes. C’est là le grand progrès réalisé par la pensée révolutionnaire. La sodomie est une pratique privée. Quant aux sodomites, on pense que moins on en parlera, moins ils seront nombreux. Chez les philosophes, l’idée commune était que la répression de telles conduites avait l’inconvénient d’en faire la publicité et de créer des vocations. D’une certaine manière, l’argument a pu jouer chez les rédacteurs du Code pénal. Marat ne disait-il pas : « Sévir contre certains crimes fort rares, c’est toujours en faire naître l’idée » ? En fait, pour Marat, ce n’était pas tant la sodomie qui était rare que les sodomites, personnages minaudant qu’il côtoyait sous les voûtes du Palais-Royal.

Sade, dans le cinquième dialogue de « La philosophie dans un boudoir », fait prononcer par Dolmancé ce qui est sans doute le premier plaidoyer défendant l’homosexualité. Décrivant celui qui trouve deux plaisirs à « être à la fois amant et maîtresse », Dolmancé précise : « Examinez sa conformation, vous y observerez des différences totales avec celle des hommes qui n’ont pas reçu ce goût en partage. » et plus loin : « Serait-il donc possible que la nature, en les assimilant de cette manière à des femmes, pût s’irriter de ce qu’ils ont leurs goûts ? »

Pour Sade, la sodomie est naturelle. Il suffit de voyager pour s’en rendre compte. A l’aide de multiples exemples, il prouve qu’elle est partout présente, en tout temps, et que c’est le vice des peuples guerriers.

La philosophie dans un boudoir de Sade paraît en 1795 à Londres. Pour important que soit ce texte, il ne représente pas l’opinion de l’époque : il permet de saisir au-delà de la problématique sadienne la vision de l’homosexualité d’un intellectuel noble de l’époque. D’autant que Sade a été poursuivi et condamné à mort par contumace en 1772 pour crime d’empoisonnement et de sodomie : « Est-il possible d’être assez barbare pour oser condamner à mort un malheureux individu dont tout le crime est de ne pas avoir les mêmes goûts que vous ? On frémit lorsqu’on pense qu’il n’y a pas encore quarante ans l’absurdité des législateurs en était encore là. »

Détails sur le produit :
Nom : « La Philosophie dans le Boudoir ou Les instituteurs immoraux. Dialogues destinés à l’éducation des jeunes demoiselles. »
Auteur : Marquis de Sade.
Date de publication : 1795

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Sources : Photo – Paolo Eleuteri Serpieri / Article extrait du blog de Jean-Yves Alt