Une étincelle peut mettre le feu à la plaine

Nous sommes dans la région de Saint-Cloud ; à cet endroit, au 16e siècle, vivait Egidius Cressère qui était autant connu pour son caractère de bon vivant que pour son esprit travailleur. Il avait à son service une servante prénommée Marguerite, que tout le monde appelait Gritte. Du point de vue du travail, exigeant envers lui-même, Egidius Cressère l’était également à l’égard de son personnel. Aussi, alors que Gritte s’était préparée pour aller à une fête qu’elle attendait depuis longtemps, le maître de maison, s’étant rappelé qu’il fallait impérativement disperser plusieurs charrettes de fumier sur toute la surface d’un champ, lui donna l’ordre de se mettre immédiatement à l’ouvrage. C’est donc la mort dans l’âme que Gritte se vit obligée de retirer ses habits de fêtes pour se rendre aux champs. Et à la vue de l’immensité du travail qui l’attendait, sa tristesse vira au désespoir : jamais elle ne pourrait finir l’ouvrage avant la nuit !

C’est alors qu’un étrange petit personnage apparut. Celui-ci adressa à Gritte un singulier sourire et fit remarquer à la servante qu’il lui semblait avoir bien de l’ouvrage pour un dimanche. Et Gritte de raconter son histoire et de se lamenter. Le petit homme lui proposa alors le marché suivant : il la débarrasserait de son labeur si elle consentait à lui donner, le lendemain matin, la première botte de paille qu’elle lierait à son réveil. Trop heureuse de s’en tirer apparemment à si bon compte, Gritte accepta et aussitôt, une troupe de nains bizarres fit son apparition et termina l’ouvrage en moins de temps qu’il ne faut pour le dire ! Le petit bonhomme et sa troupe disparurent et Gritte resta un moment consternée à l’idée qu’elle venait de demander de l’aide à des êtres, de toute évidence, surnaturels. Mais la joie de pouvoir aller à la fête chassa rapidement ses vilaines pensées.

Lorsque Egidius Cressère aperçut Gritte à la fête, il l’interpella sévèrement. Comment une jeune femme de 20 ans prétendait avoir fait en une heure, le travail qu’un homme ferait à peine en une journée ? Gritte lui raconta alors son histoire et le maître comprit tout de suite que sa servante avait été la victime de quelque diablerie. Aussi se décida-t-on bien vite à aller trouver le curé auquel Gritte fit part de son aventure. La conclusion tomba : c’est bien la route de Satan que la jeune fille avait croisée ! Le curé lui conseilla de lier la botte de paille, comme prévu, mais de prendre garde à ne serrer aucun lien de ses vêtements, auquel cas c’est elle que le Diable emporterait !

Le lendemain matin, le petit personnage fit sa réapparition. Lorsqu’il vit qu’il n’emporterait avec lui que la botte de paille, le petit Diable hurla et sortit par un trou qu’il fit dans le toit de la grange (celui-ci, dit-on, ne put jamais être réparé). Marguerite était sauvée. Le vieil Egidius, lui, qui faisait travailler ses serviteurs le dimanche, s’appauvrit de plus en plus et laissa ses enfants dénués. Quant au Diable, il tenta de revendre sa botte de foin dans le secret espoir que les vaches qui le mangeraient mourraient, poussant leurs propriétaires à proférer quelques blasphèmes. Sans succès. De rage, il finit par broyer la botte de paille et en jeter les débris dans les égouts de Paris… ce qui explique pourquoi ils puent autant. Depuis, le Diable erre dans les bois de Saint-Cloud hurlant d’horribles choses aux gens qu’il croise.

Marquis de Sade - Une étincelle peut mettre le feu à la plaine

Avant de nous éblouir par leurs valses lumineuses, les feux d’artifice servaient à intimider l’ennemi sur les champs de bataille. La pyrotechnie était alors un outil de guerre. C’est pourquoi, près de 500 ans après les mésaventures de la pauvre Gritte, les organisateurs du grand feu d’artifice de Saint-Cloud espèrent effrayer le Diable afin qu’il aille roder dans les bois de la ville voisine… du moins, j’aime à le croire.

Les origines des feux d’artifice remontent à la conception des premiers explosifs par les Chinois, au 2e siècle avant Jésus Christ. Plus que rudimentaires, ces petites bombes étaient des morceaux de bambou séchés qui, jetés dans le feu, éclataient sous l’effet de la chaleur, faisant sursauter les adversaires qui s’aventuraient trop près. Plus tard, les Chinois améliorent leur technique en fabriquant de petites fusées remplies d’une substance liquide concoctée à partir de résine, de soufre, de bitume et de salpêtre. Ces engins bien ancrés dans le sol vomissent une pluie de flammes qui repousse l’ennemi.

Par la suite, les Chinois découvrent la poudre noire, un mélange explosif de salpêtre, de soufre et de charbon de bois. Ils comprennent que cette poudre, lorsqu’elle est enflammée, dégage des gaz qui, en prenant de l’expansion, peuvent propulser des projectiles. Ils pensent alors à lancer, au-dessus de la tête de leurs adversaires, des fusées explosives propulsées à l’aide de petites bombes fabriquées avec cette poudre noire. Voilà une autre bonne façon d’effrayer l’ennemi !

La poudre arrive en Europe au 13e siècle, grâce à Marco Polo, qui en rapporte de ses voyages en chine. C’est en Italie que l’on conçoit en 1540 les premières fusées colorées, après avoir découvert que certains sels minéraux, lorsqu’ils sont enflammés, donnent des effets de couleur. Les feux d’artifice deviennent alors très populaires en Europe. En 1612, pour son mariage avec Anne d’Autriche, Louis XIII organise un immense spectacle de feux d’artifice.

Au début du XIXe siècle, les feux d’artifice prennent des teintes de plus en plus riches grâce à l’ajout de sels minéraux. En 1865, on découvre que le magnésium confère aux feux un blanc éclatant. Aujourd’hui pour obtenir un bleu spécifique on peut utiliser jusqu’à 72 composés chimiques. C’est la façon dont sont disposés ces produits dans la fusée qui donne les figures de chrysanthèmes, de pivoine, etc.

La fusée comprend deux parties distinctes : un cône rempli de poudre noire et un cylindre plein de produits chimiques. Au moment de l’explosion, le premier propulse le second. Une fusée-détonateur assure un délai entre l’allumage et le lancement. Une fois la pièce pyrotechnique dans les airs, une autre explosion entraîne la rupture de l’enveloppe de produits chimiques, lesquels, en s’enflammant donnent de fantastiques effets lumineux…

Marquis de Sade - Une étincelle peut mettre le feu à la plaine

De nos jours, les artificiers utilisent des ordinateurs pour programmer les allumages des pièces pyrotechniques ; pensez qu’autrefois on enflammait chaque mèche à la main, ce qui ne manqua pas de provoquer des accidents : en 1739 par exemple, des festivités tournent mal lorsque les artificiers voulant se faire concurrence lancent toutes leurs pièces en même temps. Il s’ensuit une gigantesque explosion qui a fait 40 morts !

Dans une moindre mesure et quelques années plus tard, ayant participé à la plupart des campagnes de la guerre de « Sept Ans » où il a fait preuve d’excès autant dans ses plaisirs que dans ses actes de bravoure, l’unique rejeton d’une famille désargentée est nommé, en avril 1759, tout jeune capitaine. Pour fêter sa promotion, le Marquis de Sade — puisqu’il s’agit de lui — décide de tirer un feu d’artifice… qui enflammera une toiture voisine. Ce fut l’occasion de sa première lettre connue !

« Messieurs [de la régence de Clèves],

Sur l’agréable nouvelle que nous venions de recevoir que Mgr le duc de Broglie avait complètement battu vos troupes hanovriennes et hessoises, comme bon patriote et m’intéressant vivement aux succès de ma nation, j’ai tiré, dimanche dernier 22 de ce mois, un feu d’artifice, en réjouissance de cette agréable nouvelle, dont une fusée est malheureusement tombée sur la maison du sieur Streil. Elle n’y a fait, Messieurs, aucun tort ni dommage ; je vous envoie le certificat du propriétaire de la maison. Si les circonstances, Messieurs, me font rester encore ici quelque temps, comme je prévois que les occasions de réjouissance pourraient devenir plus fréquentes, je choisirai, Messieurs, un terrain plus éloigné de la ville et à l’abri de tout danger, pour y tirer mes feux d’artifice. Je suis en attendant, Messieurs, avec les sentiments de considération que vous méritez, de votre respectable assemblée le très humble serviteur. »

Le grand feu de Saint-Cloud est, quant à lui, un feu d’artifice tiré tous les ans, au début du mois de septembre, dans le parc de Saint-Cloud. Créé en 2009, ce feu d’artifice est le plus grand d’Europe par son nombre d’ordres de tir et celui de pièces tirées. Le spectacle dure près de deux heures et est constitué d’une trentaine de tableaux. Allez-y faire un tour, c’est dans deux jours ; vous-y croiserez peut-être Sade, le feu au cul, courant derrière le Diable… auquel cas, envoyez-moi des photos !

Sources : Site du Grand Feu de Saint-Cloud / Photo – Al Pacino dans l’Associé du Diable / Photo – Sky Ladder de L’artiste chinois Cai Guo­-Qiang by Cai Studio

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