Toutes les fleurs s’inclinent…

Nous sommes en octobre, octobre 1776 !

L’amertume, les désillusions, les menaces vont faire ressortir les démons du Marquis. Le 15 de ce mois, Sade qui étouffe à La Coste se rend à Montpellier. Le hasard veut que, là-bas, il y rencontre une de ses anciennes servantes, Rosette, qui, du temps de son service, s’était montrée plus que curieuse des voies singulières par lesquelles le Marquis manifestait son affection.

Sade est gourmand, il aime la volaille… Il renoue les souvenirs, joue avec les sens de la dame… Sade aime enlever les plumes et farcir les dindes !

C’est ainsi que Rosette, une fois la recette appréciée, explique à son amie Adélaïde qu’elle doit accepter les propositions d’un homme qui lui promet mille enchantements si elle consent à venir travailler à La Coste.

Dans le même temps, un prêtre, pour qui les états d’âme des jeunes filles n’ont aucun secret, promet à Sade de lui trouver ce qu’il cherche : vous l’aurez deviné, Sade est en quête d’une bonne cuisinière. L’homme d’Église aimant que les choses soient faites rapidement s’adresse alors à sa paroissienne la plus jolie, lui assurant que La Coste « est un véritable couvent », Catherine — c’est son prénom — est enchantée !

Sade, avec tout ce beau monde, reprend donc la route de son château du Luberon. Là-bas, la Marquise, pratiquement vêtue de haillons, n’a plus un sou vaillant pour acheter du bois de chauffage ; ni même de quoi faire remplacer les carreaux qui manquent aux fenêtres. Qu’importe… Sade a une idée qui lui trotte dans le cerveau, celui où siège son plaisir ; une idée qui a tendance à lui raidir les méninges !

Mi-décembre, le Marquis craque et verse du côté obscur… il demande à toute la domesticité — hommes (il a engagé un secrétaire et un perruquier) et femmes — de satisfaire ses désirs. Il y a de l’affolement, on réveille le curé ; ce dernier s’est effectivement installé au château pour veiller sur la vertu de sa paroissienne. Surprise par les propositions du maître de maison, celle-ci refuse tout sec de s’offrir à lui… le Seigneur dit non à cette voie-là !

Marquis de Sade - Toutes les fleurs s'inclinent...

L’affaire, évidemment, fait du bruit. Cette fois, au lieu de se défendre, Sade passe à l’attaque et, avant même d’être inquiété, donne sa version de l’affaire. Le système de défense du Marquis paraît si peu convaincant au lieutenant de police, que celui-ci songe à le faire arrêter. Le lieu de l’arrestation est même choisi : ce sera lors de la foire d’Apt, où Sade a coutume de se rendre. Mystérieusement prévenu, le seigneur de La Coste se cache pendant quelques jours. Hélas, c’est pendant cette période de cavale que sa mère décède à Paris : elle a soixante-cinq ans. La nouvelle mettra trois semaines à parvenir à La Coste.

Mais le problème est loin d’être clos. Le père de la jeune fille arrive, toute colère dehors, pour retirer Catherine « des entreprises d’un débauché ». Sade tente de discuter ; Trillet — c’est le nom du père — cherche surtout à le tuer, il tire un coup de pistolet, manque sa cible et prend la fuite. Catherine se lance à sa poursuite… elle ne cherchera pas longtemps, elle connaît les habitudes de son père. Ce dernier vide sa colère à l’auberge du coin ; un verre à la main, il raconte à qui veut bien l’entendre les infamies — vraies ou inventées — qui se déroulent au château. Catherine proteste et affirme qu’elle n’a rien à reprocher à un « si bon maître ».

La Coste devient forcement invivable. Où aller ? L’Italie, pour la troisième fois ? Sade ne se sent plus l’âme d’un exilé. La Marquise conseille alors à son mari de regagner Paris. Par prudence, le couple voyagera séparé : Sade partira donc accompagné du fidèle La Jeunesse et la Marquise gagnera la capitale en compagnie de Catherine qui refuse de retourner chez son père (du moins pour la version officielle, car Catherine semble surtout avoir été initié et conquise par la cuisine de son maître).

Plus tard, en 1787 ; 10 ans après la prise d’arme du père de sa cuisinière, Sade commence à écrire ce qui sera l’une de ses œuvres phares, sans cesse réécrite, sans cesse augmentée : « Les infortunes de la Vertu ». L’ouvrage est initialement écrit entre le 23 juin et le 8 juillet 1787, alors que Sade est emprisonné dans la tour de la Liberté à la Bastille. Le prénom de l’héroïne — « Justine » — est celui qui avait été donné en surnom à Catherine Trillet, celle-là même qui fut domestique à La Coste en 1776.

Aujourd’hui nous sommes le 12 mars 2015 et nous fêtons les « Justine »… N’hésitez pas à les câliner, elles en ont besoin… ne serait-ce quand souvenir de l’héroïne de Sade, celle qui mourra, à l’âge de vingt-sept ans, foudroyée au cours de l’affreux orage du 13 juillet 1788. Une petite pensée pour celle qui fut sans doute la première du Club des 27 !

Sources : Marquis de Sade / Photo – Andres Serrano

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